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Les bois sous rails : les traverses

Dans cette rubrique on discute autour des trains réels des infrastructures, et de tout ce qui touche au monde ferroviaire à l'échelle 1:1 !

Les bois sous rails : les traverses

Messagepar c.delarnaque » 19 Mai 2024, 20:03

Salut à tous,

J'ai mis un peu d'ordre dans mes notes et je vous propose, en plusieurs parties, ce petit sujet se rapportant aux traverses bois. Suite aux nombreux "copier/coller" et malgré les relectures, la présence de quelques fautes d'orthographe ou d'infos erronées est possible. Merci d'apporter vos commentaires, renseignements complémentaires et corrections ;) .

Pour identifier clairement la destination finale du bois réservé au service de la Voie, par rapport à l'utilisation au Matériel (pièces pour wagons : planchers, panneaux, frises et débits divers), le chemin de fer emploie le terme de "bois sous rails". Cette appellation regroupe différents types de produits, principalement les traverses, mais également d'autres composants techniques à usages très spécifiques pour la réalisation des divers appareils de voies ainsi que les supports bois destinés aux ouvrages d'art (traverses et longrines qui transmettent les charges à l'infrastructure dans l'axe de la voie).

Placées perpendiculairement sous les deux files de rails, les traverses transmettent au ballast la charge des rails dont elles maintiennent l'écartement (1,435 m en alignement) et l'inclinaison (au 1/20e, vers l'intérieur). Le travelage standard SNCF est de 1 666 traverses au km (soit une tous les 0,60 m) mais, suivant la qualification de la voie, ce chiffre varie de 1 500 à 2 000 traverses par kilomètre (soit une traverse tous les 0,66 à 0,50 m), autorisant la circulation de véhicules ayant jusqu'à 22 t de charge par essieu. Les traverses bois SNCF mesurent généralement 2,60 m de long sur 0,25 m de large et 0,15 m d'épaisseur pour un poids approximatif de 80 kg (mais il s'en trouve de 2,40 m et 2,25 m alors que les bois d'appareils ont des longueurs variant de 2,60 m à 5,00 m). La section varie de 0,25 m par 0,15 m à 0,20 m par 0,12 m. Leur partie supérieure est entaillée aux endroits où seront fixés les rails : cette zone, qui porte le nom de table de sabotage, présente l'inclinaison requise pour le rail. Le bois retenu est, de préférence, un bois dur (chêne, hêtre, robinier – faux acacia – ou bois exotique) mais le charme, l'orme, le châtaignier et le pin ont été utilisés. Flexibles et simples de mise en œuvre, les traverses bois ont cependant une durée de vie réduite (de 20 à 30 ans) car elles pourrissent, d'où leur traitement chimique (généralement à la créosote, par imprégnation sous vide). Elles sont aussi susceptibles de se fendre, notamment aux extrémités. Elles sont alors renforcées aux abouts, à l'origine par des esses ou des boulons, ensuite par des frettes et fils ronds métalliques (suivant divers systèmes : Delors 1939, Durrenberger 1956, Fassetta 1971).

Aux origines du chemin de fer, les premiers rails reposent sur des dés en pierre. Il n'y a aucune liaison mécanique entre les deux files de rails pour maintenir un écartement constant, ce qui est une source d'insécurité et de déraillements (sur écartement suite à affaissement ou surcharge). L'utilisation du bois pour relier les rails et supporter la voie devient effective à partir de 1837, à l'initiative de Marc Seguin, pour se généraliser vers 1850.

Dès lors, pour prolonger au maximum la durée de vie de ces traverses bois, les différentes administrations ferroviaires vont s'appuyer sur les expériences et les études antérieures menées sur les traitements conservateurs des bois. L'imprégnation par des agents chimiques de préservation permet de retarder ou de prévenir les dégradations du bois exposé aux intempéries ou à l'action de divers organismes (champignons, insectes).

Un premier procédé d'imprégnation des bois est mis au point en 1831 par le docteur Auguste Boucherie de Bordeaux qui publie un mémoire sur ce sujet en 1840. Le principe, très simple, consiste à profiter de la force ascensionnelle de la sève pour faire pénétrer le liquide employé (pyrolignite de fer). En plongeant le pied de l'arbre coupé, mais non dégarni de ses branches, dans un réservoir rempli du liquide, et la circulation de la sève continuant pendant une quinzaine de jours après l'abattage, la substance préservatrice est entrainée dans toutes les parties du bois. Un des inconvénient de ce système primitif reste le coût résultant de la grande quantité de liquide à injecter.

Les études ont démontré vers 1838 que l'injection est identique sur l'arbre équarri : le tronc ébranché juste après l’abattage est alors posé selon un plan incliné (pied en haut et cime côté sol). Un système sommaire, retenu par des crocs, entoure le pied d’une étoupe en assurant un espace dans lequel s’écoule une solution de sulfate de cuivre placée dans une cuve en hauteur. Le liquide de couleur bleu suit le parcours de la sève qu'il remplace, et lorsqu’il sort à l’autre bout, le poteau est considéré comme traité, bien que cette méthode n’imprègne que partiellement le bois. Parallèlement au sulfate de cuivre, Boucherie emploie différents produits qu’il injecte directement dans les arbres, comme l’acide pyroligneux, le chlorure de calcium pyrolignité ainsi que le chlorure double de sodium et de mercure.

Le chimiste anglais John Howard Kyan (1774-1850), après des années d'expérimentation, obtient en 1832 un brevet pour le traitement par trempage du bois avec du chlorure de mercure. Le Français Jean-Robert Bréant (1774-1850), vérificateur général des essais de la Monnaie de Paris, développe un procédé de conservation du bois en 1833 par imprégnation du bois d’huile de lin à l’aide d’un autoclave, c’est-à-dire une cuve se fermant hermétiquement sous l’effet d’une pression interne.

De nombreux autres produits destinés à prévenir la destruction des bois sont également utilisés : l'acide fluorhydrique dilué, l'acétate de plomb, l'acétate de cuivre, le sulfate de cuivre (1), le bichlorure de mercure, le chlorure de zinc (Allemagne, Autriche, Russie), l'arséniate de cuivre ammoniacal (ACA), l'arséniate de cuivre et de zinc ammoniacal (ACZA), le mélange de sels métalliques (CCA) comprenant du cuivre (fongicide = anti-champignons), de l'arsenic (insecticide) et du chrome (fixateur du cuivre et de l'arsenic, dé-lavables en milieu humide), le mélange de créosote et de chlorure de zinc (2) et la créosote.

(1) Appliqué au hêtre par la Compagnie PLM jusque vers 1875, on injectait par traverse 24 à 32 kg d'une solution contenant 15 kg de sulfate de cuivre par m3 (soit en moyenne 0,470 kg de sulfate de cuivre par traverse). La vérification s’effectue par réactif : la solution (90 g de cyanoferrure de potassium dissous dans 1 litre d’eau) est étendue sur le bois (une ou deux traverses d’essai sont mises à nu) et doit donner une coloration rouge bien apparente. Une coloration simplement rosée est réputée insuffisante. (Source RGCF Revue Générale des Chemins de Fer février 1895)

(2) Compagnie des chemins de fer de l'État, à raison de 31 litres de chlorure de zinc et de 46 litres de créosote par m3 d'eau et absorption faite jusqu'à saturation. (Source RGCF février 1895 et janvier 1898)

Le chapitre suivant sera consacré à la créosote.

Cordialement,
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Re: Les bois sous rails : les traverses

Messagepar c.delarnaque » 21 Mai 2024, 19:03

Salut à tous,

Suite du topo sur les traverses bois : la créosote.

La première créosote est découverte entre 1830 et 1832 par le chimiste allemand Karl von Reichenbach (1788-1869). Il s'agit de la créosote de goudrons de bois, obtenue par distillation du bois de hêtre. Elle est, à l'époque, utilisée pour ses facultés anti-putréfactrices et conservatrices pour les soins dentaires, traitement privilégié contre les caries dentaires jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le médecin, chimiste et pharmacien Pierre Jacques Antoine Béchamp (1816-1908) démontre en 1860 (suite à ses expériences dès 1854 sur l'eau sucrée) que certaines substances antiseptiques, comme l’acide phénique ou la créosote, interdisent l’apparition des moisissures.

Un second type de créosote est issu de la distillation de goudrons de houille et c’est cette variante de créosote qui est utilisée pour la conservation des traverses de chemin de fer et des poteaux télégraphiques (puis téléphoniques) qui supportent les lignes aériennes le long des voies. C'est une huile minérale lourde, obtenue par distillation fractionnée des goudrons de houille bruts, et qui se présente sous la forme d'un liquide visqueux et noirâtre doté d'une forte odeur bien caractéristique. La créosote de goudron de houille se démarque des autres produits alors habituellement utilisés (sulfate de cuivre ou le chlorure de zinc) par son pouvoir d’imperméabilisation, mais aussi ses propriétés insecticides et fongicides supérieures ou sa neutralité envers les qualités mécaniques du bois et des autres matériaux associés à la traverse (tire-fonds, semelles…).

La composition chimique de la créosote est très dépendante de l'origine de la houille et du mode de distillation. Il en résulte une grande diversité de la nature et de la concentration de ses constituants. Les différentes créosotes sont issues d’un mélange de composants sélectionnés au moyen d’un intervalle de température de distillation et de teneurs différentes en éléments volatiles (dont la teneur en naphtalène, à l’origine de l’odeur caractéristique du produit).

Quant à la dose de créosote nécessaire pour une bonne injection, elle varie suivant l'essence de bois employé, l'origine du traitement appliqué et les différentes administrations ferroviaires (Source RGCF février 1895) :

Dosage créosote 1895.jpg
Dosage créosote 1895.jpg (227.59 Kio) Consulté 817 fois


Au fil des années, les chiffres peuvent sensiblement différer. Ainsi par exemple en 1920, aux chemins de fer de l'Est, la dose varie de 27 à 30 kg par traverse, soit environ 280 à 320 litres par m3 de bois, et aux chemins de fer de l'Ouest elle est de 220 à 250 litres par m3.
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Re: Les bois sous rails : les traverses

Messagepar c.delarnaque » 21 Mai 2024, 19:08

En 1838, l’anglais John Bethell (1804-1867) reprend la méthode de Bréant mais remplace l’huile de lin par la créosote. Le procédé de Bethell, dit procédé à cellules remplies ou encore imprégnation à refus, consiste à introduire des traverses en bois dans un cylindre à l’aide d’un chariot à arcades, à évacuer tout l’air dudit cylindre (et donc, aussi, du bois des traverses) pendant une période de trente minutes à une heure, puis à y introduire de la créosote préalablement chauffée à 70-90°C dans le but de diminuer sa viscosité.

Le tout est soumis à une forte pression d’environ 8 à 9 bars tout en maintenant une haute température, afin que la créosote pénètre le bois en profondeur, en profitant du vide préalablement créé, de 30 minutes à plusieurs heures. Enfin, la solution chimique est évacuée, puis un nouveau vide (dit de "ressuyage") est créé dans le but d’éliminer un maximum d’excédent de solution antiseptique. Le processus dans son ensemble dure de deux heures trente à trois heures. Le chariot à arcades est ensuite retiré du cylindre afin que les traverses puissent sécher (3).

Graphique procédé Bethell.jpg
Graphique procédé Bethell.jpg (85.16 Kio) Consulté 817 fois


En 1902, le scientifique allemand Rüping invente lui aussi un procédé d’imprégnation à la créosote pour les traverses en bois. Ce procédé Rüping est dit à cellules vides, car contrairement au procédé Bethell, aucun vide initial n’est créé dans le cylindre. Au contraire, l’air est cette fois comprimé. Ensuite, la créosote toujours chauffée à 70-90°C est encore une fois introduite dans le cylindre avec l’aide d’une pression croissante atteignant 8 bars. Mais étant donné qu’il n’y a cette fois-ci pas de vide dans le bois, la pénétration de la créosote est quelque peu freinée par l’air qui s’y trouve. Ce procédé permet aux traverses d’être certes imprégnées par la créosote, mais dans des proportions moins importantes qu'avec le procédé Bethell, évitant un gaspillage de produit. Avec le procédé Rüping, dit "simple", l’imprégnation s’arrête ici, le cylindre est vidangé et le chariot de traverses est déchargé.

Mais dans le cadre du procédé Rüping dit "double", l’opération est renouvelée en appliquant cette fois-ci une pression supérieure d’un bar par rapport à la fois précédente, pour atteindre un pic compris entre 9 et 10 bars. Le procédé Rüping double est donc beaucoup plus long (environ sept heures) que le procédé Bethell ou Rüping simple (3).

Graphique procédé Rüping double.jpg
Graphique procédé Rüping double.jpg (84.58 Kio) Consulté 817 fois


(3) Source Rail et Histoire – Association pour l'histoire des chemins de fer – Le traitement des traverses – Romain Sanchez, publié 04/03/2021
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Re: Les bois sous rails : les traverses

Messagepar c.delarnaque » 21 Mai 2024, 19:16

Chaque procédé possède ses avantages et ses inconvénients, mais le procédé le plus retenu fut le procédé Rüping. Le procédé Bethell garantit une bonne protection bien qu'il demande une consommation plus importante de produit, augmentant le coût du processus. Le procédé Bethell a peu à peu été délaissé par les différentes compagnies européennes de chemin de fer (sauf entre autres à la SNCF) au profit du procédé Rüping, même si le gain de créosote entre les deux processus pour le traitement du chêne n’est pas très conséquent : 6 kg de créosote par traverse pour le procédé Bethell contre 5 kg pour le Rüping simple.

Avec le procédé Rüping, l’imprégnation des traverses s'effectue de manière satisfaisante tout en réalisant une économie substantielle de créosote par rapport au procédé Bethell pour les essences autres que le chêne. Cela rend par exemple le Rüping très intéressant pour le bois de hêtre : il y a ainsi besoin de 18 kg de créosote pour imprégner une traverse en hêtre avec le procédé Rüping double, contre 28 kg si l’on utilise le procédé Bethell (4).

Autre grand inconvénient du hêtre avant l'emploi du procédé Rüping double : ce bois étant très sensible à la pourriture, les traverses insuffisamment imprégnées en profondeur, pourrissent rapidement à l'intérieur alors que l'extérieur est encore bien conservé. Et, un examen visuel ne peut déceler ce dépérissement interne.

Pour la préservation de leurs traverses en pin des Landes, les chemins de fer du Midi choisissent dès 1909 le procédé Rüping (avec emploi de créosote) au système Bethell (et utilisation de sulfate de cuivre). Le tableau ci-dessous nous permet de savoir quelles compagnies européennes utilisent, en 1965, le procédé Bethell (imprégnation à refus) et/ou le procédé Rüping simple et double, selon les différentes essences utilisées (4) :

Imprégantion et essences utilisées.jpg
Imprégantion et essences utilisées.jpg (96.34 Kio) Consulté 817 fois


(4) Source Rail et Histoire – Association pour l'histoire des chemins de fer – Le traitement des traverses – Romain Sanchez, publié 04/03/2021
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Re: Les bois sous rails : les traverses

Messagepar c.delarnaque » 21 Mai 2024, 19:20

La SNCF utilise des créosotes lourdes (distillation entre 200 et 450 ° C) alors que celles de France Télécom pour ses poteaux sont plus légères (170 à 400 °C). Les traverses en chêne absorbent de 6 à 7 litres par pièce de 255 x 23 x 14 cm (dimensions moyennes), soit 80 à 90 litres par m3. Celles en hêtre absorbent de 25 à 30 litres par pièce, soit 290 à 330 litres par m3. Après imprégnation, les durées de vie moyennes prévisibles des traverses bois (traitées à la créosote) sont les suivantes : hêtre : 40 ans, chêne : 32 ans, pin et mélèze : 30 ans.

Le seul site de la SNCF a produire des traverses bois est l'Établissement Industriel Voie (EIV) de Bretenoux, implanté à Biars sur Cère (département du Lot). Dénommé EIV Quercy Corrèze depuis le 1er juin 2006, Il regroupe le site de Brive, spécialisé dans la maintenance des engins d’entretien de l’Infra (draisines, engins maintenance caténaire, etc…) et le site de Bretenoux-Biars qui est aujourd’hui le dernier établissement Maintenance et Travaux spécialisé dans l’usinage, le créosotage, le stockage (environ 250 000 pièces, ce qui permet un stock de bois sec pour 6 mois de production du Réseau Ferré National) et l’expédition de bois pour les constituants de la voie. Situé sur la ligne Aurillac – Brive, le site de Bretenoux s’étend sur une superficie de 25 hectares avec pour principales activités : la réception du bois, le séchage, l’entaillage et le perçage pour les bois sous rail, les bois de passages à niveau et des longrines d’Ouvrages d'Arts, l’imprégnation et l’expédition Même aujourd’hui, l’établissement fabrique presque autant de traverses qu’il y a 100 ans ! Pratiquement 400 000 par an.

Quel avenir pour la créosote ? Il semble que l’Europe n’acceptera pas un nouveau report de la date fixant l’interdiction de la créosote à 2025. Avec cette pression Européenne, depuis 5 ans le site de Bretenoux travaille sur une créosote de moins en moins polluante en menant les actions suivantes : passage progressif de la créosote de type A vers C (norme Européenne moins polluante), réduction du taux d’imprégnation, stockage permettant le respect des temps de séchage (6 mois), stockage sous abri des produits imprégnés, suivis des rejets (air, sol, eau) et suivis médicaux (5).

(5) Source Actif Sud Est – Association des Cadres Techniques des Installations Ferroviaires – Numéro 293 – Tristan Bachelard, publié 03/10/2018

Le prochain post traitera des bois exotiques employés pour la Voie.

Cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Les bois sous rails : les traverses

Messagepar c.delarnaque » 23 Mai 2024, 20:22

Salut à tous,

La première partie consacrée aux bois exotiques :

Pour des raisons pratiques, matérielles et souvent économiques, les différentes compagnies de chemin de fer sélectionnent leurs bois sous rails parmi les essences qui sont à la fois abondantes dans une région ou pays donné, mais qui répondent également à un cahier des charges, en offrant notamment une résistance convenable après traitement. Les principales essences (dites "indigènes") qui poussent en Europe et utilisées de manière massive par les chemins de fer pour la construction de traverses sont le chêne, le hêtre, l'orme, le pin et le sapin, ainsi que le mélèze (abattus hors-sève, c’est-à-dire entre le 15 octobre et le 31 mars).

Avec la première guerre mondiale les besoins militaires (tranchées, ouvrages de défense, casernements, entrepôts, voies ferrées stratégiques) exigent une grande quantité de bois et les importations sont bien évidement impossibles. Après la fixation du front, il faut très rapidement pallier les demandes importantes des forces armées françaises et alliées. Ces approvisionnements peuvent être classés en deux grandes catégories : les bois de consommation (bois de chauffage et de boulange pour les troupes) et les bois de services, avec de multiples qualités recherchées.

Les bois durs (chêne, hêtre et charme) représentent les plus forts volumes. Ils sont demandés par l’Artillerie (affûts de canon, caissons de munitions, attelages des pièces) et le Génie pour les traverses de chemins de fer destinées tant au réseau général qu’aux nouvelles voies (lignes étroites de type Decauville) montées à l’arrière du front pour le transport des ravitaillements et de l’artillerie lourde sur rails. En second lieu, les bois tendres, en particulier les conifères, sont aussi surexploités : le Génie les utilise pour étayer les réseaux de tranchées (étais de mines, clayonnages) ou encore pour la construction d’abris au niveau de la ligne de front et de baraquements pour l’arrière. L’aviation, nouvelle arme dans ce conflit, demande plus particulièrement des bois tendres : en 1918, les cellules ainsi que les ailes sont encore construites massivement en bois, avec de l’épicéa pour la charpente principale et les ailes, et parfois du contreplaqué pour les fuselages. Les trains d’atterrissage, soumis à de très fortes contraintes, nécessitent l’utilisation de bois durs (frêne ou noyer d’Amérique, tandis que le noyer commun, l’orme et le hêtre sont réservés à l’élaboration des hélices). Au total, ces besoins militaires mobilisent des volumes considérables : il faut par exemple un stère de rondins pour 10 mètres de tranchée, ou encore 40 à 50 m3 de grumes pour construire un abri d’artillerie.

De plus, dans les zones de combats, 160 000 hectares de bois sont détruits et 500 000 autres sont en grande partie inexploitables. Pour faire face aux conséquences prévisibles à l'issue du conflit, les autorités françaises se préoccupent dès le début de 1917, de rechercher des sources nouvelles d’approvisionnement en bois pour satisfaire les futurs besoins de reconstruction (PTT, réseaux électriques, compagnies minières et de chemins de fer).

Marcel Sembat, ministre des Travaux Publics convoque les dirigeants des grands réseaux ferroviaires et leur demande de réserver aux Colonies une part de leur commande annuelle de bois (services Voie et Matériel). Une première mission d'études (30 décembre 1916 – 17 novembre 1917) est confiée au polytechnicien Pierre Eugène Mathurin Salesses (1858-1931, Lieutenant-Colonel Territoriale, gouverneur honoraire des Colonies, promoteur du chemin de fer de Conakry – en Guinée – au Niger) et ses deux adjoints Noyon et Loiseau, inspecteurs du service de la voie de la Compagnie du Nord. La mission doit procéder à une étude approfondie des possibilités offertes par les zones forestières des possessions Françaises en Afrique (Sénégal, Guinée, Cameroun, Gabon).

Les éléments réunis par cette mission encouragent les grandes compagnies de chemins de fer à constituer une société d’études, qui, sous l'impulsion de Léon Mauris (1850-1929), directeur général du PLM de 1907 à 1919, décide d'envoyer une seconde mission dans le but précis de déterminer les surfaces forestières à exploiter et choisir l'emplacement de concessions éventuelles. Menée en parallèle à la première campagne (avec l’appui des échantillons reçus), la nouvelle mission est dirigée par l’inspecteur des eaux et forêts André Bertin (1879-1956). Certains territoires forestiers de la Côte-d’Ivoire retiennent l'attention, mais l'Administration locale met à l'octroi des concessions des conditions telles que Salesses ne croit pas devoir les accepter. Et le 22 février 1918, la mission préconise le choix du Gabon qui offre une très grande variété d’essences de bois durs susceptibles d’être transformées en traverses.

Deux concessions de 75 000 hectares environ chacune (situées sur la rive gauche de l’estuaire du Gabon) sont accordées pour une durée de 30 ans par décret gouvernemental du 19 juillet 1920 et approuvée par les autorités françaises de tutelle du Gabon. Les cinq grandes compagnies de chemins de fer Français (Nord, Est, Paris-Lyon à la Méditerranée, Paris-Orléans et Midi) et l'Administration des chemins de fer de l'État fondent le 8 août 1920 (Journal officiel du 20 août) un organisme commun : le Consortium des Grands Réseaux Français (CGRF). Celui-ci a pour objet l'exploitation des concessions forestières (et industries connexes), ainsi que l'organisation du transport des bois du Gabon vers la France. Le 1er janvier 1938, à la suite de la fusion des Réseaux, la SNCF hérite du Consortium et réorganise ses trois Comités (d’Administration, de Direction et de Gestion). Le CGFR est renommé Consortium Forestier et Maritime des Chemins de fer Français, reflétant la nature unifiée des Réseaux sous la SNCF et devient un Service, c’est-à-dire une exploitation annexe de la SNCF (6).

(6) Sources Revue Générale des Chemins de Fer mars 1928, Léon Géraud Directeur Général du CGRF – Entreprises Coloniales Françaises, Consortium Forestier et Maritime des Grands Réseaux Français, 21/02/2014 – Rail et Histoire, Association pour l'histoire des chemins de fer, le traitement des traverses, Romain Sanchez, publié 03/08/2020.

La suite prochainement,

Cordialement,
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Re: Les bois sous rails : les traverses

Messagepar c.delarnaque » 27 Mai 2024, 20:31

Salut à tous,

La suite sur les bois exotiques.

Érigées en colonies d'exploitation, les territoires d'Afrique Équatoriale Française (1910-1958) n'ont fait l'objet d'aucun projet de développement. La position de l'époque estime que les colonies doivent dégager des bénéfices, ou à la rigueur, ne rien coûter à la puissance colonisatrice. Pour les responsables du Consortium, investir dans l'exploitation forestière nécessite donc de partir de zéro.

Les travaux inhérents au lancement des activités de la nouvelle société nécessitent un minimum d'investissement en dehors des concessions. En effet, pour acheminer le matériel destiné aux chantiers forestiers, le Consortium des Grands Réseaux de Chemins de Fer Français est contraint de réaliser des travaux préalables sur le port de la côte. Il n’existe à Libreville aucun ouvrage, wharf ou quai pour l'accostage des bateaux. Financièrement, pas moins de 20 millions de francs, dont 5 millions de fonds de roulement, sont nécessaires au lancement du projet. Avec l’accord du ministère des travaux publics, l’autorisation d’engager cette importante dépense est acquise.

Sur la base des informations recueillies au Gabon, les contours des espaces à exploiter "Igombiné" et "Maga" sont déterminés et les superficies correspondent à un besoin savamment quantifié. De même, les essences susceptibles d'exploitation sont repérées ainsi que les difficultés de terrain. Par ailleurs, les besoins financiers, matériels et humains sont également clairement identifiés.

RGCF mars 1928.jpg
RGCF mars 1928.jpg (363.2 Kio) Consulté 699 fois


Dès 1920, le consortium entreprend la mise en place d’une exploitation forestière dans la zone Igombiné. La zone Maga ne sera en fait exploitée qu’à partir de 1948 (essentiellement en bois tendres : okoumé, ozigo) pour des raisons de grand éloignement, de difficultés techniques liées à la présence d’une véritable mangrove et à la rareté d’essences de bois durs.

Situé tout près de la ligne de l’équateur, au sud de l’estuaire du Gabon à une cinquantaine de kilomètres de la capitale Libreville et à la naissance de la rivière Igombiné, la concession Igominé compte les deux sites les plus importants : Makok et Foulenzem (à 5 km de Makok). La rivière, navigable en toutes saisons, permet l’évacuation des traverses produites vers leur lieu d’embarquement pour la France, sur des navires affrétés par les compagnies de chemins de fer, ainsi que le ravitaillement en vivres des chantiers. Carte des sites - mise à jour 10 octobre 1967 :

Carte Consortium Forestier et Maritime Chemins de fer Français MAJ 10 10 1967-001.jpg
Carte Consortium Forestier et Maritime Chemins de fer Français MAJ 10 10 1967-001.jpg (406.64 Kio) Consulté 699 fois


De part l’importance des investissements réalisés, Foulenzem devient le site stratégique du Consortium, bien que le siège social et les services administratifs soient installés à Makok, de même qu'un important port fluvial. Débutés en 1921 à Foulenzem, les travaux d’aménagement et d’agrandissement de la scierie se poursuivent jusque dans les années 1950. Au départ, la scierie primitive doit parer à l’urgence. Elle est donc envisagée comme une structure sommaire pour répondre à l'essentiel : être constituée d'éléments simples et robustes pouvant être confiés à la main-d’œuvre indigène totalement inexpérimentée à l’époque, être capable de débiter sans difficultés et avec un rendement acceptable les essences tropicales les plus dures choisies pour la fabrication des traverses de voie ferrée.

La scierie seule ne donne pas toute son importance au site de Foulenzem. En effet, pour la maintenance et la remise en état du matériel, l’entreprise crée un vaste atelier mécanique. Ce dernier est subdivisé en départements bien distincts : fonderie, forge, ateliers d’ajustage et de tôlerie. L’ensemble constitué par la scierie et les annexes représente plus de 10 000 m² de surface couverte. Le site comprend aussi un service médical qui est assuré par un médecin des troupes coloniales hors cadre, assisté d’un certain nombre d’infirmiers. Il dispose d’un vaste hôpital de 170 lits comprenant : salle de visite, salle d’opération et de radiographie, salles de malades, laboratoire, pharmacie largement approvisionnée. En dehors de l’hôpital, il existe une infirmerie et des postes de secours qui se déplacent selon les nécessités de l’exploitation.

À 30 km de la scierie se trouve le chantier forestier. Pour établir la liaison entre ces deux sites, une voie ferrée Decauville de près de 25 km, 5 locomotives et 100 wagons sont mobilisés. Le site de Maga, dans la deuxième concession de l’entreprise, situé entre les rivières Remboue et Bokoue, sur l’axe Libreville-Kango, abrite quant à lui un chantier forestier. En l’absence de route, la concession de Maga communique avec celle de l’Igombiné par voie fluviale.

A suivre,

Cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Les bois sous rails : les traverses

Messagepar c.delarnaque » 31 Mai 2024, 21:01

Salut à tous,

Suite de la ballade exotique :

Pays d'Afrique centrale sur la côte atlantique, le Gabon, d'une superficie de 267 670 km², est traversé par l’Équateur. Le climat chaud et humide se caractérise par l’alternance des saisons : petite saison sèche de janvier à février, petite saison des pluies de mars à mai, grande saison sèche de juin à août et grande saison des pluies de septembre à décembre. La hauteur moyenne annuelle des précipitations, variable suivant les régions, va de 1 500 mm à 2 000 mm mais arrive à près de 3 000 mm à Libreville et dans la partie nord de la côte. Le pays est de ce fait irrigué par un réseau hydrographique extrêmement dense et la forêt couvre environ 22 millions d’hectares (82% de la superficie) Les températures moyennes oscillent entre 21° et 28° avec un taux d’humidité qui dépasse généralement 80 % tous les mois de l'année, ce qui rend le climat difficile à supporter.

Sur les deux sites du Consortium, les employés sont nourris et logés sur place mais il existe une certaine ségrégation. La quarantaine d'Européens et les 1 500 ouvriers et manœuvres Africains (auxquels il faut ajouter environ 500 femmes et enfants) ne bénéficient pas, par exemple, des mêmes conditions de logement et les contacts entre les deux groupes sont inexistant en dehors du temps de travail. La durée du séjour des Européens n'excède pas 36 mois consécutifs, suivis de 6 mois de congé en Europe pour raisons de santé (malnutrition, fatigue excessive, maladie et manque de produits pharmaceutiques appropriés face aux risques encourus). Une trentaine d'ouvriers noirs venus du Sénégal, du Cameroun et Dahomey aide à la formation sur place du personnel local aux nouvelles méthodes de travail arrivées de la métropole. Les travailleurs autochtones vivent séparés les uns des autres, en fonction des groupes ethniques, linguistiques ou des nationalités.

Le faible taux démographique (moyenne 1,52 habitant par km² – fin des années 1940) et une population inégalement répartie sur l'ensemble du territoire sont des obstacles au recrutement. Sur les chantiers forestiers, la main d’œuvre locale se trouve souvent coupée de son village d'origine, ce qui désorganise notablement la vie familiale et sociale au sein des diverses ethnies.

De 1920 à 1928, le Consortium tire 48 000 m3 de grumes en moyenne de la forêt. Après traitement sur site, il exporte ou vend sur place 30 000 m3 environ. Cette production est très inférieure à celle escomptée lors de la création du Consortium (150 000 m3, prévus avec l'emploi permanent de 4 000 à 4 500 travailleurs indigènes). Jusqu’en 1946, les travaux s’effectuent dans des conditions particulièrement pénibles compte tenu des efforts demandés sous un climat hostile, aggravé par les nuées d’insectes, porteurs de maladies infectieuses parasitaires (paludisme, éléphantiasis, maladie du sommeil). L’abattage s’effectue à la hache, le tronçonnage de la cime du fût à la scie passe-partout, l'ouverture des pistes et le défrichage du terrain à la machette, les rondins sont poussés vers la voie ferrée d’évacuation au moyen de bambous et sont arrimés par des lianes sur les wagons, le tout réalisé huit mois par an sous des pluies torrentielles (inondations, routes défoncées...). Dans ces conditions, il est certain que le Consortium n’exploite que les parcelles relativement faciles d’accès et riches en essences recherchées.

Les coûts de transport pour expédier les bois exotiques vers l'Europe impose par nécessité commerciale le sciage et la fabrication de traverses sur place ainsi que l'abandon sur site des parties stériles ou de peu de valeur. Les bois à traiter sont souvent d'une extrême dureté avec des diamètres de grumes considérables, couramment 2 m, mal connus – d'autant que leur nombre ne cesse de s’accroître au fil des enquêtes de terrain –, et leur usinage n’est pas maîtrisé.

Extrait du numéro de mars 1928 de la Revue générale des Chemins de Fer :

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Utilisation des bois du Gabon (2).jpg
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(exemples densité du hêtre 0,68 – du chêne 0,73 – du Bilinga 0,76 – du Niové 0,88 – de l'Alep 1,05 – et de l'Eveuss 1,06).

Densité, dureté, absorption de produit de traitement, résistance à la traction ou à la compression, rétractibilité ou élasticité sont autant de paramètres que les laboratoires constitués cherchent à estimer, pour intégrer ces essences à une production jusque-là limitée aux bois d’Europe et à quelques essences étrangères.

Note sur le système Albert Collet (7) :

Extrahomètre Albert Collet.jpg
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(7) Source Conservatoire National des Arts et Métiers

Pour rester au mieux sur le chapitre "bois", je n'ai volontairement pas détaillé les installations du Consortium au Gabon, pas plus que les conditions de vie du personnel sur les sites forestiers (logement, nourriture, travail) ni l'organisation des transports (ravitaillement, matériel, expédition).

Retour prochain de la traverse bois et sa préparation avant la pose.

Cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Les bois sous rails : les traverses

Messagepar c.delarnaque » 10 Juin 2024, 20:30

Salut à tous,

Le rôle des traverses est de maintenir un écartement constant entre les deux files de rails et de répartir la charge reçue des essieux sur une couche suffisante de ballast pour ne pas dépasser une certaine charge unitaire.

Pour assurer pleinement ce rôle, la traverse doit répondre aux exigences du cahier des charges (en fonction de l'essence utilisée). Dans le tome 1 du traité pratique de l'entretien et de l'exploitation des chemins de fer de 1865, Charles Goschler (1819-1889 Ingénieur Principal aux chemins de fer de l'Est) écrit que quels que soit les bois employés pour la fabrication des traverses, ceux présentant des défauts sont rejetés : piqûres ou galeries d'insectes, pourritures, fentes de grandes dimensions, cadranures ou gélivures (fentes longitudinales du cœur vers la circonférence pour le premier terme et inverse dans le second), malandres (altérations issues de nœuds pourris), gerçures et roulures (fentes circulaires). Le chêne ne doit être abattu qu'en bonne saison (hors sève c'est à dire entre le 15 octobre et le 15 mars).

Pour les formes et dimensions requises des traverses, il faut chercher à obtenir une surface d'appui suffisante pour les tonnages supportés (base/épaisseur/longueur/largeur du dessus). Toute traverse comportant une section formée par un segment de cercle peut être nommée demi-ronde. Issue généralement de tronc d'arbre fendu à la scie, sa destructions est plus rapides que la traverse équarrie. Lorsqu'on débite une bille de bois, il faut faire en sorte que le cœur de l'arbre se situe à la base de la traverse, l'aubier étant donc en partie supérieure. Les formes qui peuvent résulter de toutes ces combinaisons varient avec le mode de débitage employé. Elles sont indiquées dans la figure 98, par des tracés qui représentent le débitage le plus avantageux des billes selon leur diamètre. Les formes M, N, 0, Q, se débitent rarement dans le chêne, parce que dans ces grandes dimensions, cette essence est utilisée comme
bois de marine et coûte très cher. Les traverses triangulaires P ont été fréquemment employées.

Pour chaque section de traverse, la lettre repère renvoie au cahier des charges qui précise les critères de validation. Par exemple, on admet, comme traverses équarries, les formes G, N, 0, les traverses à trois faces de sciage et une face circulaire J, M, Q, et les traverses à deux faces de sciage parallèles E. Les traverses demi-rondes F, peuvent comprendre des traverses H provenant de billes dont on aurait enlevé un madrier de cœur, et des traverses L à deux faces de sciage et une face circulaire. Pour ces dernières, l'épaisseur la plus forte doit se trouver au tiers au moins de la largeur, à partir du talon. Pour les traverses de forme L, la plus grande épaisseur doit se trouver à 0,10 m au moins de la face latérale sciée (8) :

Traité pratique de l'entretien ...Goschler Charles traverses demi rondes.JPEG
Traité pratique de l'entretien ...Goschler Charles traverses demi rondes.JPEG (117.41 Kio) Consulté 127 fois


(8) Source Charles Goschler – Traité pratique de l'entretien et de l'exploitation des chemins de fer Tome 1 édition 1865.

En 1924, les formes suivantes de traverses sont admises :

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Cette grande diversité est liée au nombre de compagnies ainsi qu’à l’optimisation de la découpe au sein des scieries : afin de minimiser les pertes, un maximum de traverses – de dimensions nécessairement variables – sont découpées d’une seule et même bille de bois.

De date bien plus actuelle, les spécifications et descriptifs reprennent ceux de la norme NF EN 13145+A1 (décembre 2011) et les sections des traverses et des supports d’appareils de voie de la SNCF en 2018 sont les suivantes :

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A suivre. Cordialement,
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Re: Les bois sous rails : les traverses

Messagepar c.delarnaque » 12 Juin 2024, 21:40

Salut à tous,

Juste pour comparer avec la doc SNCF récente du post précédent, voici par exemple un extrait du cahier des charges édité par la compagnie des chemins de fer de l'EST en 1902 :

(15) Cahier des charges EST 1902.jpg
(15) Cahier des charges EST 1902.jpg (212.45 Kio) Consulté 84 fois


Dans les premiers temps, les grumes sont réceptionnées par un agent de la compagnue ferroviaire, sur le terrain, le long d’une route ou d’un chemin forestier, à l'unité ou en lots contenant un nombre variable de pièces. Le réceptionnaire doit les cuber en mesurant la longueur et la circonférence relevée en milieu de bille (au moyen d'une aiguille de fer prolongée d'un cordeau). En fin de réception, il consulte le barème de cubage et additionne les volumes obtenus, y compris toutes les décimales. La réception par le Service des Bois pour le Service de la Voie date des années 70. Auparavant, elle était assurée par des réceptionnaires du Service des Achats. Ce transfert concerne également les planches de fond de wagons (en chêne ou pin) utilisées au Service Matériel.

Plus récemment, les traverses sont sélectionnées chez les fournisseurs puis examinées avec soin par un agent réceptionnaire en bois, responsable de la qualité du lot considéré. La finalité de la réception consiste à rechercher les divers défauts pour éliminer du lot les éléments ne répondant pas au cahier des charges. Après le comptage, chaque traverse est frappée par le réceptionnaire avec son marteau personnel numéroté, le fournisseur faisant de même avec le sien. Vient ensuite la partie administrative avec le procès-verbal et le bon de transport à renseigner. Et, pour évaluer la qualité du travail des réceptionnaires, un inspecteur du Service des Bois effectue un nouveau contrôle en atelier, à l'arrivée du lot retenu. Exemples de marques d'identification du réceptionnaire :

(16) Empreintes marteaux réception.jpg
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Les traverses sélectionnées sont alors marquées (clou ou marque taillée d'identification de l'atelier) puis entreposées sur une aire de stockage afin de les laisser sécher à l'air libre (dessication). Cette opération consiste à réduire la teneur moyenne en humidité (de 20 à 30% par rapport au poids sec) des traverses avant l'imprégnation. Pendant cette période de séchage, ces traverses "blanches" (bois brut, non traité) sont disposées en extérieur par couches croisées à 90° (camarteaux), en piles ouvertes. Les aires de séchage à l'air libre sont souvent orientées de façon à tirer le meilleur parti des vents dominants. Pour éviter le contact direct des traverses avec le sol et les remontées d’humidité, le premier rang de chaque pile repose sur des traverses déclassées formant sous-trait. Les traverses blanches se stockent par essence et par mode de débit afin d’adapter l’injection de la créosote. Instructions pour le stockage des traverses blanches à l'atelier d'Amagne (08) pour la Compagnie de l'Est en 1902 :

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Et une version plus récente à l'atelier de Surdon (61) pour le réseau de l'Ouest. Sur les 3 modes de stockage, celui de la fig. 2 est le plus utilisé (9):

(18) Stockage traverses blanches Surdon.jpg
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(9) Source Thierry Danglos – Argentanwebferro.fr – Le chantier de créosotage de Surdon.

Les traverses subissent des contrôles réguliers au cours du processus de dessication, et les bois ayant subi des altérations sont éliminés. Des fentes peuvent apparaître aux extrémités de certaines traverses. Celles-ci sont alors frettées. Des dispositifs métalliques sont posé aux extrémités fendues dans le but de les renforcer et de les consolider tout en stoppant l'élargissement de la fente. Ces dispositifs, selon les époques, se présentent sous forme d’esses plats métalliques enfoncées en bout, dans le bois, remplacés depuis par des cerclages en feuillard métallique plat puis des fils de fer soudés électriquement (machine automatique). De nos jours, les traverses sont systématiquement frettées à l’aide d’un fil de fer rond diamètre 7 mm avant imprégnation.

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Lorsque les traverses ont atteint le degré de siccité désiré (au bout de 15 à 20 mois pour le chêne ou 6 mois pour le hêtre à la Compagnie de l'EST en 1898 – actuellement de 8 à 12 mois pour le chêne, 4 à 6 mois pour le hêtre et un minimum de 12 mois pour les essences tropicales), elles sont dirigées vers l'atelier de préparation. La dissecation avant l'imprégnation peut être complétée par un passage dans des étuves à air chaud ou séchoirs. Les dernières opérations à réaliser avant le traitement à la créosote sont l’entaillage et le perçage.

Ce que nous verrons prochainement. Cordialement,
C. Delarnaque
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