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Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Dans cette rubrique on discute autour des trains réels des infrastructures, et de tout ce qui touche au monde ferroviaire à l'échelle 1:1 !

Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Messagepar c.delarnaque » 16 Juillet 2024, 14:28

Salut à tous,

L'expo photo sur le viaduc des Rochers Noirs que je me promets de visiter très prochainement me donne l'occasion d'ouvrir un sujet consacré à cet impressionnant ouvrage d'art sur la ligne de Tulle à Ussel des Tramways de la Corrèze.
Mes sources de références : Actus Limousin, Archives Départementales de la Corrèze, Associations Asttre 19 et FACS (Fédération des Amis des Chemins de fer Secondaires), BNF Gallica, Bulletin des lois de la République Française, Cinémathèque de Nouvelle Aquitaine, Conseil général de la Corrèze, Direction Régionales des Affaires Culturelles Nouvelle Aquitaine, F Jacqmin – 1872 Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Francis R....... (association Le Train Briviste Corrézien), Gilbert Gannes (Le Transcorrézien), Marc Dupuis (le P.O), Jacques Maligne (Tacots et Cahots), Jean Paul Toulzat (1912-1913 … il y a 100 ans, les Tramways de la Corrèze), Le Génie Civil (revue générale des industries françaises et étrangères), presse écrite La Montagne, sites internet Alternatives économiques, Chemins.de.traverses.free, Immatérielles.org, La Corrèze.com, Les Trains de l'Histoire, Ruedupetittrain.free.

A l'issue de la guerre franco-prussienne (19 juillet 1870-29 janvier 1871) et l'insurrection qui débouche sur La Commune de Paris puis la chute du Second Empire, la France se trouve dans une situation économique et financière délicate. Après la signature du traité de Francfort en mai 1871, la défaite militaire lui est coûteuse à plusieurs égards. Le conflit en lui-même a généré des dépenses publiques conséquentes (estimées à 3 ou 4 milliards de francs), qui ont sévèrement entaillé le budget de l’État. Outre les pertes humaines et matérielles, la France doit abandonner l'Alsace et une partie de la Lorraine (2 millions d’habitants et de nombreuses activités industrielles : textile, métallurgie, mines). Elle doit surtout faire face à l’obligation de payer au vainqueur une indemnité de guerre de plus de 5 milliards de francs-or auxquels il faut ajouter 567 millions d'intérêts. Le relèvement national exige ainsi un effort financier exceptionnel dans l’immédiat après-guerre, le coût total de la guerre perdue étant évalué à 9 milliards de francs.

C'est dans ce contexte que le 4 août 1876, le Sénat nomme une Commission composée de dix-huit membres chargée d'étudier les futurs chemins de fer d’intérêt général. Le rapport révèle entre autre que le territoire français compte tenu de sa superficie ne comporte pas assez de voies ferrées pour être irrigué convenablement. Le réseau constitué alors par 22 000 km doit être étendu à plus de 40 000 km pour accompagner les progrès économiques du pays. Le ministre des Travaux publics, Charles Louis de Saulces de Freycinet (1828–1923, ingénieur du corps des Mines, polytechnicien), ancien collaborateur de Léon Gambetta et en poste depuis le 13 décembre 1877 dans le ministère d’Armand Dufaure, adresse le 12 janvier 1878 au Président de la République un rapport dans lequel il signale la nécessité de donner une vive impulsion aux travaux publics. Afin d'assurer un développement rapide et centralement organisé, le réseau des voies ferrées ainsi que les canaux – à petits gabarits – et les installations portuaires sont au cœur d'un ambitieux programme destiné à favoriser les circulations et répondre aux attentes des milieux économiques du moment. Pour la IIIe République naissante, il s’agit à la fois de rattraper un certain retard industriel sur l’Angleterre, la Belgique, les Pays Bas et l’Allemagne, de stimuler les échanges et de désenclaver des territoires alors mal desservis. Pour sa mise en œuvre, le "plan Freycinet" (1878-1914) est inscrit dans la loi de Finances. Selon Freycinet, tout comme chaque commune doit devoir disposer d’une école laïque, gratuite et obligatoire, toutes les sous-préfectures ainsi qu’un maximum de chefs-lieux de canton doivent être reliés au réseau des chemins de fer. Outre ces considérations économiques, le plan masque cependant une orientation un peu plus politique pour la promotion de la Troisième République auprès du monde rural, dans l'ensemble peu favorable au nouveau régime.

Par un décret en date du 2 janvier 1878 et publié le lendemain au Journal Officiel, le ministre met en place 6 commissions techniques régionales chargées de dresser avant le 31 mars 1878 dans leurs zones d’action respectives, les listes des lignes d’intérêt général restant encore à construire. Le 17 janvier, le ministre avait expédié des circulaires à tous les Préfets afin de lui faire connaître en retour les vœux émis par les Conseils généraux dans leurs sessions de l’année 1877. En avril 1878, les travaux de ces 6 commissions sont soumis au Conseil général des Ponts et Chaussées puis adressés au ministère de la Guerre pour l’aspect stratégique de ces voies. Le projet ayant retenu une liste de 154 lignes, en plus des 53 autres antérieurement concédées à titre d’intérêt local, est ensuite remis le 4 juin au parlement pour sa discussion. Ce rapport est rendu public le 8 juin 1878, mais finalement officialisé par la loi du 17 juillet 1879. A la suite du dépouillement des diverses délibérations des Conseils généraux et de l’examen de communications émanant de membres du Sénat et de la Chambre des députés, Freycinet doit ajouter quelques centaines de kilomètres supplémentaires à son premier classement. Il présente ces modifications à la Chambre les 4 et 25 novembre 1878. Les listes remaniées comprennent alors 162 lignes nouvelles ainsi que 64 autres chemins de fer d’intérêt local à incorporer.

Le 15 mars 1879, un nouveau rapport est présenté à la Chambre par le député Wilson. Il conclue à l’impérieuse nécessité de passer rapidement à la réalisation de cet ensemble de lignes ferroviaires. Le classement se trouve en outre à nouveau modifié lors de plusieurs séances. Freycinet ouvre le 30 mars 1879 la discussion finale qui dure jusqu’au 2 avril pour être ensuite transmise au Sénat. Le pays doit donc faire face aux constructions de près de 18 000 km de voies ferrées… induisant une dépense pour l’État de 3,5 milliards de francs ainsi que de 1,5 milliard de francs pour la navigation intérieure, soit un total de cinq milliards de francs.

La loi définitive n° 8168 relative au renforcement du réseau ferroviaire est votée le 17 juillet 1879 et publiée au Journal Officiel le lendemain. Le classement annexé prévoit la réalisation de 181 lignes de voies nouvelles ( 8 848 km) dans le réseau des chemins de fer d'intérêt général à l'écartement de 1435 mm afin de desservir toutes les sous-préfectures du pays (ainsi que des études complémentaires pour 4 152 km). Faute d’accord avec les compagnies, on décide également que l’État se charge des frais d’infrastructure et de superstructure. La nature du mode d’exploitation de ces lignes n’est toutefois pas encore définie. Comme il est également nécessaire de désenclaver tous les chefs lieux de cantons par des réseaux secondaires, des lignes dites "d’intérêt local" à voie étroite sont construites, principalement à l'initiative des conseils généraux. La longueur des ces réseaux départementaux passera de 2 187 kilomètres en 1880 à 17 653 km en 1913. La réalisation du plan Freycinet se poursuit jusqu’en 1914, et il sera pratiquement entièrement réalisé.

Localement, le projet de la loi Freycinet prévoit de doter la Corrèze d’un réseau secondaire, géré par la compagnie du P.O. Ce chemin de fer à voie métrique dénommé le "Paris-Orléans-Corrèze" (ou "P.O.C"), ouvre 3 courtes lignes au public en 1904 : Seilhac-Treignac (29 km), Tulle-Argentat (31,9 km) et Uzerche-Tulle (33,6 km). Cependant, ces relations ne prévoient pas de desservir les importantes zones de peuplement situés entre le plateau de Millevaches et la vallée de la Dordogne (La Roche-Canillac, Lapleau, Saint-Privat, Neuvic, etc.). Dans ce contexte, le Conseil Général opte pour la création d’un réseau de tramways à l'écartement métrique, géré par le département (déclaration d’utilité publique le 30 janvier 1897). Plusieurs projets se succèdent de 1903 à 1907. Le 24 avril 1908 paraît le décret déclarant d'utilité publique l'établissement, dans le département de la Corrèze, d'un réseau de tramways pour les lignes suivantes :

- La Rivière de Mansac à Juillac (26,625 km),
- Aubazine-Saint-Hilaire-Peyroux à Beaulieu-sur-Dordogne (38,594 km) avec les embranchements Le Moulin du Faure vers Beynat (2,271km + 12,788 km depuis Aubazine) et Le Bosplos à Turenne (18,244 km + 23,069 depuis Aubazine),
- Tulle à Ussel, rebaptisé plus tard "Transcorrézien" ou "Tacot" (100,808 km), avec l'embranchement Le Mortier-Gumond à La Roche-Canillac (4,521 km + 19,612 km depuis Tulle). (Source ouvrage "Cahots et Tacots" Jacques Maligne.

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Le décret d’application qui est publié au Journal Officiel le 30 avril 1908, ouvre alors en Corrèze un des plus importants chantiers de France pour ces 3 lignes ferroviaires. A noter toutefois leur configuration défavorable, sans communications entre elles, obligeant la compagnie à disposer de matériels roulants et d’infrastructures dédiés. De plus, excepté Tulle – Ussel, certains terminus n'offrent qu'un mince attrait commercial car ces petites gares sont géographiquement très proches de Brive (La Rivière de Mansac, Turenne et Aubazine). La Compagnie du PO élimine ainsi toute concurrence et refuse que les réseaux métriques atteignent Brive. Les Tramways desservent donc, par défaut, des gares isolées et éloignées de la grande ville, de ses marchés et des correspondances favorables de la grande artère.

La ligne métrique la plus importante des Tramways départementaux de la Corrèze est celle qui va relier Tulle, la préfecture, à Ussel (via 9,925 km du tronc commun avec le "P.O.C" : Tulle, Laguenne et Saint Bonnet Avalouze, puis 90,883 km à partir de Saint Bonnet Avalouze par Lapleau et Neuvic d'Ussel) permettant ainsi de desservir les campagnes et stimuler l'activité forestière et l'élevage dans les communes traversées. Sur cette ligne, il faut franchir les gorges profondes de la rivière, la Luzège, pour relier les deux communes de Lapleau (rive droite) à Soursac (rive gauche). C’est ainsi que la construction du viaduc des Rochers Noirs est lancée. A l'origine, le site du viaduc est dénommé les Rochers Noirs par les habitants de Lapleau, et Roche-Taillade par ceux de Soursac.

A suivre, cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Messagepar c.delarnaque » 18 Juillet 2024, 10:28

Salut à tous,

Au cours des études de construction de la ligne, les ingénieurs se sont déjà penché sur l'épineux problème du franchissement de la Luzège, un affluent de la Dordogne. Il n'est pas envisageable de profiter de l'accotement routier de part la configuration accidentée du terrain. La grande profondeur des gorges, avec ses 250 m de dénivelé, le profil de la ligne ou les courbes à respecter côté Lapleau et le tunnel côté Soursac sont des obstacles majeurs à l’installation d’un pont métallique ordinaire. La compagnie des Tramways de la Corrèze rejette l'idée d'un ouvrage en maçonnerie pour des raisons de coûts et de délais de réalisation.

Un premier projet voit le jour : un pont à poutre rigide de 120 m de portée, accessible côté Lapleau par 2 arches maçonnées et un remblai de 8 m portant la voie en palier sur une distance de 300 m. Mais la rampe côté Soursac se révèle trop sévère et le projet est abandonné. Fin 1908, un second projet est étudié. Envisagé à un endroit un peu plus resserré de la vallée (155 m de large), ce qui permet de réduire la longueur de l'ouvrage, le site choisi permet avec le même type de pont, d'élever la voie de 15 m (à 374,28 m d'altitude) tout en diminuant la portée de 120 m à 105 m. Source image ouvrage (1912-1913 ...Il y a 100 ans) Jean Paul Toulzat.

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Projet maçonnerie 1909.jpg (453.05 Kio) Consulté 2478 fois


Seuls bémols à la réalisation, l'édification de 3 arches en maçonnerie (une de 7 m d'ouverture côté Soursac et 2 de 20 m et 10 m côté Lapleau) et le percement d'un tunnel en courbe de 123 m de long côté Soursac. Un second tunnel de 45 m sera finalement percé 900 m plus loin, en direction de Soursac (tunnel de Brésanges). Les données relatives à ces 2 "souterrains" (selon le vocabulaire de l'époque) sont extraits des rapports de l'Ingénieur en Chef du Contrôle. En réalité le grand tunnel mesure 129 m et il est revêtu sur 43 m (15 m côté Lapleau et 28 m côté Soursac). Ses parois latérales sont creusées de 3 niches-refuges (dont 2 dans la roche brute). Le petit tunnel mesure 53 m, entièrement revêtu avec 1 seule niche-refuge. Le projet est présenté le 24 février 1909 puis approuvé le 31 mars de la même année par l'autorité préfectorale. Il est cependant abandonné car une étude comparative entraîne l’adoption du système Gisclard (du nom de l'ingénieur Albert Gisclard 1844 – 1909). Les plans définitifs sont soumis au Conseil général le 27 février 1911 et approuvés par le Préfet le 17 mars 1911.

La construction du viaduc des Rochers Noirs (1911-1913) est confiée à la Société "LAURENT, G. PLANCHE, PACAUD, PRADEL et PAYARD", concessionnaires du réseau départemental des tramways de la Corrèze. Les travaux sont exécutés par Messieurs PELLET et GÉNY, entrepreneurs, pour la maçonnerie et par Monsieur ARNAUDIN, ingénieur constructeur, pour la suspension et le tablier. Ferdinand Arnaudin (1845-1924) fonde en 1872 son entreprise de constructions métalliques à Châteauneuf sur Loire (Loiret). Il invente une câbleuse (1874) permettant de produire des câbles à torsion alternative particulièrement résistants, et le procédé se trouve naturellement désigné sous le nom de "système Arnaudin".

L’ouvrage sur la Luzège sera conçu suivant le brevet déposé en 1900 par Albert Gisclard, commandant du Génie et ingénieur. Son concept de système de câbles en triangulation a donné toute satisfaction sur la ligne du train jaune en Cerdagne pour le pont de la Cassagne réalisé entre 1906 et 1908 dans les Pyrénées Orientales. La solidité nécessaire au passage d’une voie ferrée est obtenue par un système de câbles dont certains sont inclinés pour augmenter la rigidité. Le tablier métallique, conçu comme une poutre continue, est suspendu sous la structure par des "tiges" verticales. Pour réduire encore plus les déformations, la structure des câbles est complétée par la suspension Ordish qui permet d’atténuer notablement la variation de la flèche, et réduit dans une proportion appréciable l’abaissement du tablier.

La caractéristique des ponts à câbles à suspension de type Gisclard, nouvelle conception du début du XXe siècle, est de posséder un système particulier de haubanage du tablier avec une structure de charpente triangulée dont les haubans ne sont pas fixés directement au tablier. Des câbles de liaison (câbles Ordish) sont installés entre les têtes des pylônes et font office de câbles de suspension pour les haubans, afin d’éviter leur fléchissement.

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Pour la construction du viaduc des Rochers Noirs, des câbles obliques, en fils d’acier assemblés à torsions alternatives du système Arnodin, sont attachés dans leur partie supérieure à la tête d’un pylône de suspension et dans leur partie inférieure assurent une triangulation du viaduc par onze points d’appui, divisant ainsi la portée totale à franchir en 12 travées moins importantes (10 de 11,80 m chacune et 2 de 10,88 m pour chaque dernière travée près des rives).

A ces originalités techniques destinées à créer un ouvrage plus rigide, d’où le nom donné par le commandant du Génie Gisclard de "pont suspendu rigide", s’ajoute une disposition caractéristique de ce pont suspendu destinée à équilibrer les pylônes de suspension : les câbles de retenue sont ancrés dans le sol grâce à des galeries creusées dans le rocher. Le rocher sur chaque rive étant solide il est décidé de l’utiliser comme massif d’ancrage des câbles porteurs. A cette fin, des galeries semi-circulaires sont creusées dans la roche. Ces chambres d'amarrage sont contournées par les câbles à profondeur suffisante pour que le cube de rocher résistant se trouve surabondant. L'angle d'inclinaison des câbles de retenue, par rapport à la verticale des piles, est de 79°20' côté Lapleau et 74°00' côté Soursac.

D'autre part, des culots de fonte et des étriers en acier à haute résistance sont munis d’écrous permettent le réglage de la tension. Ces points d’appui bien spécifiques ont permis de bâtir un tablier horizontal, simplifiant la construction, tout en créant un pont résistant et de grande portée. Cet ouvrage d’art exceptionnel fait partie par son ampleur des plus grands ponts métalliques français de l’époque : près de 140 m entièrement suspendus par une charpente rigide composée de câbles. C’est le deuxième pont en France à adopter la technologie d’avant-garde Gisclard, après celui de la Cassagne. (Source Le Génie Civil – supplément du 3 mai 1913) :

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Les maçonneries de la culée rive droite (côté Lapleau) débutent le 20 mars 1911. Les fouilles de la rive droite sont terminées au 31 mars 1911 et les travaux d'approche de la pile rive gauche (côté Soursac) sont suffisamment avancées pour estimer le début des fouilles de cette pile à la mi-avril. En cette fin mars, l'installation des câbles transbordeurs destinés aux travaux de maçonnerie et de montage du viaduc est en cours d'achèvement. Au 20 août 1911, la culée rive droite est terminée, le grand tunnel est complètement percé et le petit tunnel est terminé (totalement revêtu) sauf les têtes. À l’automne 1911 est amorcée la construction de la maçonnerie des piles (côté Soursac 53,717 m, côté Lapleau 41,717 m au-dessus du tablier). La pile et la galerie d'amarrage rive droite (côté Lapleau) sont terminées au 31 mars 1912 et la pile rive gauche est édifiée au deux tiers. Toutes les composantes métalliques du viaduc sont usinées, prêtes à être livrées.

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Au 23 septembre 1912, la galerie d'amarrage côté Soursac est très avancée et les 2 piles presque entièrement terminées jusqu'à leur sommet. La plus grande partie des éléments métalliques est approvisionné à pied d’œuvre. Le monteur de la maison Arnaudin est sur les lieux et s'occupe des travaux préparatoires au montage de l'ouvrage. Le petit tunnel est entièrement terminé, reste à effectuer dans le grand tunnel le revêtement côté Lapleau. Au 14 avril 1913, la construction du viaduc touche à sa fin. La durée du montage du tablier s'est réalisé avec un mois d'avance sur les prévisions grâce aux conditions météo favorables et un hiver relativement clément. De ce fait, on espère effectuer les diverses épreuves du viaduc vers la fin de ce même mois.

Les culées et les piles sont construites en pierres de granite provenant d'une carrière locale. Elles sont assises sur le rocher granitique du talweg qui est très incliné, mais pas sur la même courbe de niveau. Chaque pile est assise sur une série de redans permettant de faire disparaître les plans de glissement et de placer la base sur des surfaces horizontales. Au niveau du tablier, chaque pile évidée se divise en deux pilastres surmontés d’un couronnement et d’un dé en pierre de taille de granite, sur lequel viendront s’appuyer les chariots de dilatation auxquels seront attachés les fermes de suspension et les câbles de retenue du pont. La voie se trouve à 89,62 m au-dessus du lit de la rivière et le sommet des piles surplombe le fond du ravin de 112,337 m. Les piliers possèdent au niveau du tablier une arche suffisamment haute pour permettre le passage d’un train. Pour desservir les chantiers simultanément sur les deux rives on utilise un télécharge (système F. Arnodin) d’une portée de 172 mètres. Ce même dispositif servira également à la mise en place des câbles porteurs.

A suivre, cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Messagepar c.delarnaque » 21 Juillet 2024, 09:35

salut à tous,

Les maigres informations relatives aux activités humaines liées aux travaux de maçonnerie sont issues des entretiens audio recueillis en 1984 disponibles sur la plate-forme fédérative Immaterilles.org dans les Archives du Limousin - collection du viaduc des Rochers Noirs (en fonction du système de protection et version antivirus installés, probabilité de refus d'ouverture du lien). Même imprécis, et parfois contradictoires selon la mémoire des témoins directs, ces souvenirs oralement exprimés témoignent cependant des dures conditions de travail de l'époque. L'outillage est rudimentaire, et faute de mécanisation, il est fait appel aux qualités physiques des hommes pour réaliser des travaux aussi risqués sur ce chantier d'envergure. Les pierres brutes sont extraites de la carrière locale "Aux rochers" située au hameau Laborie de Lapleau. Acheminées jusqu'au site du viaduc (des chevaux qui sont loués au hameau Vasséjoux assurent la remonte des wagonnets vides), elles sont mises en place par la maison Pellet et Gény de Figeac (46). On peut supposer que si l'encadrement et un minimum de personnel compétent a fait le déplacement depuis le Lot voisin, la main d’œuvre recrutée localement ne manque pour autant pas d'aptitudes. Ainsi par exemple, Félix Vidal, né le 10 septembre 1874 à Servières-le-Château (environ 38 km de Lapleau), embauché en 1911 en qualité de maître maçon et conducteur de travaux a pu exprimer la mesure de son talent. Il a en charge la construction des piles en pierres taillées qui supporteront le pont.

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Mais pour trouver de la main d’œuvre disponible, il est difficile de recruter uniquement sur place, parmi une population de cultivateurs qui manque déjà de bras et où les premières machines agricoles font à peine leur apparition. A côté des chefs d'équipes parisiens ou lyonnais, il semble cependant n'y avoir que très peu d'ouvriers de nationalité étrangère, hormis des terrassiers Italiens. Pour l'essentiel, les travailleurs sont souvent des employés d'entreprises locales, des journaliers venus des communes proches, Lapleau, Soursac, Marcillac-la-Croisille, St Martin-la-Méanne ou Egletons, et quelques itinérants Auvergnats ou Bretons qui se déplacent au grès de l'ouverture des chantiers successifs.

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Malgré la loi Millerand du 30 mars 1900 (promulguée le 30 septembre) qui réduit la durée du temps de travail de 12 à 11 heures journalières, le chantier du viaduc vit au rythme de 12 h de labeur quotidien, et ce, 6 jours par semaine, dans le respect de la loi du 13 juillet 1906 fixant au dimanche le jour de repos hebdomadaire. Mais pour beaucoup d'ouvriers qui vivent du chantier, la pause dominicale est prise sur place. Certains ouvriers sont logés dans des auberges ou chez l'habitant, d'autres sont hébergés dans les granges ou greniers à foin des fermes avoisinantes. Le salaire journalier d'un ouvrier du viaduc est de l'ordre de 5 francs (alors qu'un bûcheron perçoit 2,50 francs). Les ouvriers, par groupe d'une vingtaine environ, sont nourris par plusieurs "cantines" des hameaux à proximité, dont entres autres à Vasséjoux, les "cambuses" Marty et Fabre. Quelques débrouillards ne dédaignent pas, à l'occasion, d'améliorer leur ordinaire : la traque aux volailles et la pose de collets en étaient les preuves. Pour combler un peu les pertes dues aux chapardages, un accord tacite mais unanime dans la campagne alentour entraîne la hausse des cours des produits fermiers (lapins, volailles, œufs, pommes de terre et légumes, vin, eau-de-vie).

Au cours de la construction du viaduc des Rochers Noirs, par bonheur, aucun accident mortel n'est a déplorer. Un seul épisode d'importance sur ce chantier difficile et périlleux est relaté dans le journal "Le Corrézien" en juin 1912 :

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A la période de construction du viaduc, la scolarité se termine souvent tôt pour les enfants. Selon l'expression consacrée, ils sont loués, c'est à dire placés pour travailler. Rien d'étonnant donc d'en rencontrer sur le chantier (source : ouvrage de Jean Paul Toulzat – 1912-1913 … il y a 100 ans, les Tramways de la Corrèze) :

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Les trous de mines aménagés dans la roche pour y déposer les charges de dynamite sont creusés au burin, le terrassement se fait à la pioche. Les gravats sont évacués par des wagonnets à bascule roulant sur une voie portative de 0,60 m, tirés par des ânes ou des mulets. Beaucoup d'ouvriers et d'entreprises locales sont peu habitués à ce genre de travail à cause de sa nouveauté et des difficultés rencontrées. D'autres images de la construction du viaduc sur le site Immaterielles.org.

A suivre, cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Messagepar c.delarnaque » 25 Juillet 2024, 18:38

Salut à tous,

Après que les maçons aient démonté leurs échafaudages, l'entreprise Arnodin investi à son tour le site pour la mise en place de la partie métallique du viaduc. Au sommet de chaque pile, une dalle en ciment armé relie les deux dés en granit où sont installés les chariots de dilatation. Elle répartit sur toute la section de la maçonnerie les surcharges concentrées par ces chariots. Accrochés sur un même chariot, les câbles de retenue sont fixés dans les galeries d'ancrage circulaires creusées dans les parois rocheuses des deux versants de la vallée tandis que deux câbles Ordish par ferme de suspension sont reliés au chariot de dilatation correspondant sur l'autre pile. Vue des chariots de dilatation et galerie souterraine d'ancrage de la pile côté Soursac (Photo Francis R......., association Le Train Briviste Corrézien) :

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Les câbles T sont ensuite posés pour aboutir au nœud central. Un chariot mobile, équipé d'un treuil, d'échelles souples en acier et d'un garde-fou, circule à l'aide de 4 paires de galets sur les câbles Ordish et permet la mise en place progressive des éléments du tablier. Ce chariot est actionné par un câble de halage qui commande le mouvement de translation d'une pile à l'autre ou son arrêt en un point quelconque de sa course. Les mouvements de ce chariot porteur sont commandé par un treuil mû par une machine à vapeur installée sur une des culées. Les éléments de la partie métallique du viaduc sont fabriquées par l'entreprise Arnodin dans son usine de Châteauneuf-sur-Loire. L’ossature du tablier est tout d’abord montée à blanc dans les ateliers de la société, puis les pièces sont numérotées. Il s'agit d'un pré montage à l'aide de boulons afin de vérifier la conformité de l'assemblage par rapport aux plans établis par les ingénieurs. Ensuite démontées, les pièces sont acheminées par train, le plus souvent jusqu’à Égletons, et sont enfin transportées jusqu'à Lapleau par la route, sur des chariots tirés par des chevaux. Ces éléments, dont aucun ne doit dépasser 12,10 m de long pour les commodités du transports, sont rivés à chaud sur place, avec une forge mobile.

Le débouché total à franchir entre les parements des culées est de 158,375 m. Le projet a prévu une petite travée courbe, rive droite, côté Lapleau, de 10,975 m entre le parement de la culée et l'axe de la pile, une travée centrale suspendue de 140 m d'axe en axe des piles et une travée rive gauche, côté Soursac, de 7,40 m entre l'axe de la pile et le parement de cette culée. En exécution réelle, la travée suspendue est implantée le 30 août 1911 avec une distance de 139,765 m entre les axes des piles et par suite une travée rive gauche, côté Soursac, de 5,735 m au lieu de 5,50 m comme elle était prévue primitivement, entre les parements des maçonneries (pile et culée – soit la longueur de 7,635 m au lieu des 7,40 m entre le parement de la culée et l'axe de la pile – je laisse à chacun le soin d'apprécier les 23,5 cm de différence entre théorie et pratique).

Vue du viaduc depuis le tunnel des Rochers Noirs (Grand tunnel) côté Soursac (Image Randonnées ferroviaires) :

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Le niveau du rail sur les culées rive droite et rive gauche est à la cote 374,28 et les faces supérieures des dés en granit qui surmontent le couronnement des piles sont à la côte 396,997 (112,337 m au-dessus du lit de la Luzège). Il en résulte une hauteur totale de pile de 53,717 m côté Soursac et 41,717 m côté Lapleau. Le raccordement courbe, côté Lapleau, se fait sur un rayon de 55 m et sur l'autre, côté Grand tunnel vers Soursac, sur un rayon de 60 mètres qui débute sur la culée de cette rive gauche et se développe dans le tunnel. (Source Le Génie Civil 30 mai 1913– article de Gaston Leinekugel Le Cocq, polytechnicien, ingénieur hydrographe de la Marine, gendre de Ferdinand Arnodin).

Dans la travée suspendue, la triangulation appropriée du système Gisclard crée pour le tablier onze points d'appui. La portée totale à franchir est ainsi divisée en douze travures dont dix, centrées, ont chacune une longueur de 11,80 m alors que les deux travures terminus près des piles mesurent 10,88 m.

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Le détail du plan en élévation du viaduc (Le Génie Civil – supplément du 3 mai 1913), probablement pas corrigé, révèle onze travures de 11,80 m de l'axe de la pile rive droite, côté Lapleau, vers l'autre rive et une dernière travure de 11,00 m jusqu'à l'axe de la pile rive gauche, côté Soursac.

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Les câbles Ordish entre les têtes des pylônes servent à la suspension des haubans, afin d’éviter leur fléchissement.

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Grâce à la câbleuse inventée en 1874 par Ferdinand Arnodin, les câbles à torsion alternative réalisés dans les ateliers de Châteauneuf-sur-Loire alimentent les besoins du chantier. Ces câbles sont particulièrement résistants, enroulables et donc plus facilement transportables sans détérioration. Ils se composent de plusieurs nappes de torons torsadés dans des sens opposés de façon à former des couples anti giratoires qui se resserrent entre eux lorsqu'ils sont mis sous tension. Avantage supplémentaire, la longueur peut être ajustée sur le chantier pour répondre à la dimension souhaitée.

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Re: Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Messagepar c.delarnaque » 25 Juillet 2024, 18:55

Le tablier dans la travée suspendue a 5,00 m de largeur entre les axes des garde-corps (eux-mêmes positionnés à l'axe des poutres de rive). Il se compose essentiellement de deux longerons sous rails, disposés de part et d'autre de son axe médian, dont la distance d'axe en axe est de 1,046 m, de deux poutres de rive de même hauteur, distantes entre elles de 5,00 m d'axe à axe, d'une tôle d'acier de 6 mm, formant platelage du tablier, rivée sur les longerons et les poutres de rive, de croisillons de contreventement réunissant les semelles inférieures des poutres de rive et des longerons sous-rails, et enfin de pièces de pont principales placées au droit des nœuds d'articulation de la ferme, c'est-à-dire tous les 11,80 m.

Des entretoises secondaires sont disposées également dans le milieu des travures de 11,80 m de longueur. Les longerons sous-rails se poursuivent de la culée rive gauche, côté Soursac où ils sont ancrés, à la pile rive droite. Cet ancrage a pour but de parer à un coup de frein brusque lors du passage d'un train en vitesse sur le tablier. L'extrémité de ces longerons sur la pile rive droite, côté Lapleau, repose sur un plat, fixé à la maçonnerie, qui forme glissière et permet à la dilatation de se produire librement. Les poutres de rive sont continues entre les parements des maçonneries où elles viennent se reposer librement dans des boîtes de dilatation disposées à cet effet.

Les longerons sous-rails et les poutres de rive ainsi que les pièces associées (cornières, semelles) sont de sections légèrement différentes (dimensions, poids au mètre linéaire) suivant la position de travure dans l'ouvrage (située de part et d'autre de travure précédente ou avoisinant chaque pile). Pour la petite travée côté Soursac et la travée courbe côté Lapleau, la largeur du tablier n'est que de 4,10 m d'axe à axe des poutres de rive, avec des constituants de sections différentes (sections, semelles, entretoises, goussets). Dans tout le tablier des travées de rive et de travée suspendue, deux files de longrines en bois (section 220/140) solidement reliées par des équerres en acier sur les longerons sous rails et entretoisées de distance en distance, assurent le complet parallélisme de la voie et supportent les deux files de rails.

La première phase des nombreuses opérations a effectuer pour réaliser le montage de la partie métallique est le levage des câbles des deux fermes de suspension. Après la pose des chariots de dilatation au sommet des piles, les câbles de retenue et ceux de la suspension Ordish sont successivement accrochés sur un même chariot. La mise en place des câbles qui aboutissent au nœud central s'est effectuée avec la même méthode que celle adoptée pour le pont de La Cassagne : l'ensemble des câbles T d'une ferme, y compris le nœud central d'articulation, sont accrochés à un chariot de dilatation, puis à l'autre extrémité les câbles sont reliés au moyen d'un joug sur lequel on fixe un filin d'acier. Ce filin passe dans une poulie disposée au-dessus du chariot opposé et vient s'enrouler sur un treuil placé sur la culée. Le joug est ainsi amené par la traction du filin d'acier au voisinage des goujons du chariot, et les extrémités des câbles sont fixés au moyen de leurs étriers munis d'écrous de réglage. Pour chaque ferme de suspension, les câbles T forment une nappe de quatre éléments : deux seulement sont d'abord mise en place, puis les deux suivants ultérieurement, lorsque toutes les fermes de suspension et une partir du tablier sont posées.

Le chariot mobile transporte les premières entretoises vers le centre de la portée suspendue. Les chariots de dilatation se détachent en avant plan, au sommet de la pile côté Soursac :

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(18ER) Montage tablier vue en direction de Lapleau.jpg (375.51 Kio) Consulté 2350 fois


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(19ER) Montage tablier vue en direction de Soursac légende probablement erronée.jpg (385.52 Kio) Consulté 2350 fois


La légende de la prise de vue ci-dessus me paraît erronée, il me semble que la photo est prise du côté Lapleau et que l'on voit la pile en direction du "grand tunnel" côté Soursac. Je base mon appréciation sur le profil de l'escarpement rocheux à gauche en arrière plan et l'absence du plan d'accès au viaduc menant à Lapleau sur la droite du cliché.

(20ER) Montage tablier vue en direction de Lapleau.jpg
(20ER) Montage tablier vue en direction de Lapleau.jpg (377.49 Kio) Consulté 2350 fois


Une fois les deux partie centrales des fermes de suspension installées et réglées, débute le lancement du tablier. On amène en place au droit du nœud central, puis ensuite au droit de chaque nœud d'articulation placé de part et d'autre du nœud central, les pièces de pont ou entretoises correspondantes qui sont fixées à leurs tiges de suspension. Sur ces pièces de pont, les longerons sous rails, les croisillons du contreventement inférieur et les tôles de platelage, transportés par le chariot mobile, sont alors assemblés entre eux. En opérant ainsi de proche en proche en partant de la partie centrale et en disposant successivement les éléments symétriques par rapport à l'axe de la travée et des câbles des fermes de suspension, l'ensemble est toujours parfaitement équilibré.

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Ces opérations ont été effectué sans le moindre accident, ce qui fait l'honneur de Monsieur Pic, chef monteur des établissement F. Arnodin, et de tout le personnel qui a pris part à ces manœuvres hardies et habiles souligne G. Leinekugel Le Cocq dans son article rédigé pour Le Génie Civil du 30 mai 1913.

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Les galeries circulaires d'amarrage ont été creusées dans le rocher des rives par les soins de la Compagnie concessionnaire des tramways de la Corrèze. Ces travaux furent exécutés sous le contrôle, pour le département, de Messieurs Richard (Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées), Maret (Ingénieur ordinaire) et Thomas (Igénieur de la Compagnie concessionnaire des Tramways de la Corrèze).

A suivre, les essais en charge du viaduc.

Cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Messagepar c.delarnaque » 28 Juillet 2024, 11:41

Salut à tous,

Les épreuves subies par le viaduc des Rochers Noirs, le 8 mai 1913, sont combinées de façon à présenter une certaine progression dans les surcharges, afin que des conclusions intéressantes soient tirées de l'étude comparative des résultats obtenus en théorie et de ceux observés lors des épreuves pratiques. Pour l'ouvrage sur la Luzège, le travail développé dans les éléments du tablier et celui produit dans les câbles de la suspension sont examinés conjointement. Les épreuves se déroulent en quatre opérations distinctes qui consistent à faire circuler et stationner sur l'ouvrage :

- Une locomotive et son tender dans la position A de la figure 13,
- Deux locomotives et deux tenders dans la position A B de la figure 13,
- Deux locomotives, deux tenders et cinq wagons à vide dans la position de la figure 13,
- même opération précédente, mais avec cinq wagons à surcharge complète pesant 13,5 tonnes l'un, la seconde locomotive étant dans l'axe de la travée.

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Ce dernier train, de 137,5 tonnes est le plus lourd qui puisse circuler sur ces voies ferrées, dont les déclivités dans certaines parties sont fort importantes et atteignent jusqu'à 4,5 ‰. Ce train d'épreuve, dans cette configuration, n'a pas été en mesure, malgré la présence de deux machines, de regagner après les épreuves sa gare de départ Lapleau (la voie, du viaduc à Lapleau, étant en rampe).

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Finalement, le train d'épreuve, avec ses deux locomotives de chacune 25 tonnes, deux tenders de chacun 10 tonnes, et cinq wagons de chacun 13,5 tonnes circule à plusieurs reprises sur le tablier à la vitesse maximum qu'il est possible d'atteindre avec les courbes de 60 mètres et de 55 mètres de rayon qui existent aux abords du tablier. La vitesse maximum atteinte est de 20 km/heure.

A chacune de ces opérations sont effectuées les lectures des mires (placées sur le tablier au droit des nœuds d'articulation), des appareils Manet-Rabut et des dynamomètres des câbles-témoins disposés sur les câbles T allant des chariots aux nœuds d'articulations centraux ainsi que sur les câbles de retenue. Perfectionné en 1896 par Charles Rabut (1852-1925) ingénieur des Ponts et Chaussées, à partir de l'invention (1877) des ingénieurs Dupuy et Manet, l'appareil Manet-Rabut est un instrument d'auscultation pour mesurer le travail du fer, en traction ou compression.

Les éléments principaux du tablier sont ici les pièces de pont, les longerons sous rails et les poutres de rive. Plusieurs appareils Manet-Rabut sont fixés sur les membrures supérieures des poutres de rive : un au milieu de la travée, un autre au quart de la travée côté Lapleau, un troisième au quart de la travée côté Soursac, sur la pièce de pont axiale et sur la semelle supérieure de la section centrale, et le dernier sur le longeron sous rail, reposant sur la pièce de pont axiale de la travée :

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La concordance des résultats observés en pratique avec les calculs prévisionnels révèle l'exactitude de la théorie concernant le travail développé par les poutres de rive suite à la flèche prise par le tablier, ainsi que les précisions de ces calculs concernant les flèches prises par le tablier lors des surcharges. Le tablier à vide, lors de sa pose, a été réglé avec un bombement déterminé de 0,120 m (correspondant à une valeur légèrement supérieure à l'abaissement relatif au passage d'un train normal).

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Un travail d'extension de + 1,400 kg par millimètre carré est donc développé dans la membrure supérieure. Au passage du train d'épreuve complet, le travail réel n'est plus que de – 0,785 kg par mm². Pour les pièces de pont, toujours dans le cas de cette quatrième opération, il ressort des calculs estimés un travail de – 4,39 kg par mm² pour un travail observé de – 2,50 kg par mm². Et il en est de même pour les longerons sous rails, les taux du travail calculés dans le cas du train d'épreuve complet sont supérieurs à ceux obtenus réellement.

Dans le cas du viaduc de la Luzège, pour la travée suspendue, le poids permanent du tablier, qui est dans le projet d’exécution prévu à 1 540 kg par mètre courant, est réellement, d'après les pesées directes des éléments mis en œuvre de 1 515 kg (212 100 kg : 140 m). Si on y ajoute, d'une part le poids de la voie (85 kg) et d'autre part le poids des câbles de la suspension (400 kg) supporté par les câbles de la ferme, on obtient un total de 2 000 kg par mètre courant. Le poids total des fermes de suspension de la travée centrale donne 500 kg le mètre courant (72 000 kg : 140 m), dont 1/5 correspond aux éléments mêmes des câbles Ordish et au poids propre des câbles des fermes de la suspension que portent les câbles Ordish. Quant aux 4/5, soit 400 kg, ils reviennent aux câbles des fermes.

Comme la nappe des câbles T est, par demi-ferme, composée de 4 câbles de 91 fils de 4,63 millimètres de diamètre, il en résulte que, sous le poids permanent seul, le travail ressort à 9 kg par mm². Les taux théoriques du travail dans les câbles des fermes de suspension sont confirmés par les observations lorsqu'il s'agit de l'action du poids permanent. Dès qu'interviennent les surcharges concentrées dues aux essieux du train d'épreuve, la répartition produite par les longerons sous rails, les poutres de rive (qui jouent le rôle de poutres raidissantes) et de poutres continues, diminue les tensions calculées en supposant les surcharges localisées en leurs points d'appui.

Les expériences du viaduc des Rochers Noirs débutent par la lecture, avec le tablier vide, des dynamomètres des câbles témoins réglés sur les câbles T. Les résultats donnent 9,50 kg par mm² côté Lapleau et 9,00 kg par mm² côté Soursac. La différence entre la moyenne (soit 9,25 kg par mm²) et le calcul annoncé par la théorie est donc de 0,44 kg par mm², écart peu important. Pour la suite des essais, les résultats prévus par la théorie pour chacune des quatre opérations successives sont d'abord déterminés. Ils sont ensuite comparé avec les taux de travail et les abaissements au centre de la travée obtenus lors des expériences d'épreuve de l'ouvrage.

La locomotive et son tender sont disposé dans la première opération en A comme indiqué en figure 13. L'augmentation théorique du travail dans les câbles T est de 5,05 kg par mm². Comme le train d'épreuve est située sur la demi-travée côté Lapleau, le maximum de tension développée dans les câbles -T se trouve dans la demi-ferme opposée côté Soursac. Quant à l'augmentation de tension que subissent les câbles T de la demi-ferme côté Lapleau, elle donne lieu à une augmentation de travail de + 3,57 kg par mm² de section. On obtient de la même façon les résultats qui correspondent aux trois autres opérations suivantes. Les wagons employés dans la troisième opération pèsent à vide 3 600 kg, et en pleine charge pour la quatrième opération, 13 500 kg.

On déduit de ces résultats le tableau suivant qui résume d'une part les efforts et taux théoriques du travail , et d'autre part les taux de travail obtenus au moyen des câbles témoins, lors des opérations correspondantes :

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La position adoptée pour la quatrième opération donne théoriquement une augmentation de tension dans les câbles T côté Soursac de 55 170,807 kg et 46 195,768 kg côté Lapleau. Le surcroît de travail dans cette hypothèse est donc de + 9,00 kg/mm² dans ces câbles T côté Soursac et de + 7,53 kg/mm² côté Lapleau.

Les câbles Ordish supportent par mètre courant un poids de 100 kg de la suspension et développent au sommet d'un chariot de dilatation une tension horizontale. En tenant compte de l'angle d'inclinaison des câbles de retenue sur la verticale, soit 79°20' côté Lapleau et 74°00' côté Soursac, on obtient les tensions théoriques de 142 007,99 kg côté Lapleau et 145 140,53 kg côté Soursac dans les câbles de retenue. Ces câbles sont constitués par quatre câbles de chacun 127 fils de diamètre 4,87 millimètres présentant une section totale de 9 462,52 mm². Le taux de travail correspondant sous le poids permanent est donc de 15,01 mm² côté Lapleau et 15,33 mm² côté Soursac. Les observations faites sur les câbles témoins placés sur ces câbles de retenue donnent, le tablier vide : + 15,00 kg/mm² côté Lapleau et 15,35 kg/mm² côté Soursac. Rn opérant comme précédemment montré pour les câbles T, les résultats successifs sont les suivants :

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Il est surtout nécessaire de faire observer, pour faire apprécier à juste titre le système de pont suspendu rigide Gisclard, que le viaduc de la Luzège est le seul ouvrage métallique au monde qui présente les caractéristiques suivantes : son poids permanent de tablier est de 1 515 kg par mètre courant, et le train d'épreuve surcharge ce tablier de 3 156 kg par mètre courant dans la partie comprise entre les deux locomotives et leurs tenders et de 2 500 kg dans la partie comprise par toute la longueur du train pesant 137,5 tonnes et ayant 59,640 m de longueur maximale totale.

Les résultats comparés de l'abaissement du tablier dans le centre de la travée :

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On voit ainsi que, dans la portion du tablier couverte par les deux locomotives, la surcharge est égale à deux fois le poids permanent et en moyenne 1,65 fois le poids permanent pour toute la longueur du train. C'est là un résultat très remarquable, car si l'on ne tient compte dans l'appréciation d'un ouvrage que du rapport obtenu entre l'abaissement et la portée lors des épreuves on a une idée fausse de la valeur économique du système de pont utilisé. Il faut, en effet, faire entrer en ligne de compte, non seulement le rapport de l'abaissement à la portée, mais encore celui du poids permanent comparé au poids de la charge par mètre courant.

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Dans tous les ponts métalliques pour voie ferrée, à grande portée, le poids du train d'épreuve représente en général au mètre courant le tiers ou le quart du poids permanent. Dans le viaduc de la Luzège, le poids du train d'épreuve est supérieur à une fois et demie le poids du mètre courant. L'écart est fort important.

Ce résultat n'a rien qui doive nous surprendre du constructeur qu'est M. F. Arnodin, puisque les très nombreux ponts à grande portée conçus et construits par lui depuis près d'un demi-siècle réalisent depuis longtemps déjà, pour les ponts routes, ce même rapport du simple au double entre le poids permanent et les surcharges roulantes. Cette nouvelle consécration par l'expérience du viaduc de la Luzège, en ce qui concerne les ponts suspendus pour voie ferrée, marque un nouveau et réel progrès dans l'exécution de ces ouvrages. (Le Génie Civil – 7 juin 1913 – G. Leinekugel Le Cocq, Ingénieur hydrographe de la Marine).

A suivre, l'inauguration par le Président Poincaré.

Cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Messagepar c.delarnaque » 07 Août 2024, 07:38

Salut à tous,

Suite aux essais du 8 mai 1913 avec le passage du train d’épreuve, le viaduc sur la Luzège est officiellement réceptionné le 10 mai 1913. La portion de voie Lapleau-Soursac est ouverte à l’exploitation le 1er août 1913. L'édifice est à nouveau mis à l'honneur le 11 septembre 1913 avec l'inauguration par le Président de la République, Raymond Poincaré (Raymond, Nicolas, Landry Poincaré, 20 août 1860 Bar-le-Duc 15 octobre 1934 Paris, avocat lorrain, député puis sénateur, président du Conseil puis ministre).

Lors de l'assemblée générale de 1912 du tout jeune Syndicat d'Initiative du Limousin, ses élus décident d'organiser pour l'année suivante une grande manifestation ayant pour but la promotion de la région. Les grandes lignes en sont tracées, cette manifestation prendra la forme d'une "journée hôtelière et touristique", et les syndicats d'initiatives voisins du Lot et de la Dordogne sont conviés à se joindre à ceux des trois départements limousins pour créer une fédération. Cette journée, qui a lieu à Limoges le 13 février 1913, est rapidement suivie par la Journée Hôtelière de Tulle le 15 avril de la même année, où la décision est prise d'effectuer une démarche pour faire visiter le Limousin à Monsieur Raymond Poincaré, Président de la République. Initialement programmé vers le 19 ou 20 septembre 1913, après les grandes manœuvres d'armée en région toulousaine, il est finalement décidé que la visite débute à Limoges le lundi 8 septembre 1913 et se termine à Bergerac le lundi 15 suivant.

L'idée de cette Journée Hôtelière et Touristique, que l'on doit à Messieurs Debay, Directeur du Syndicat d'Initiative de Limoges et Charles Lamy, Président de la Chambre de Commerce, est appréciée de M. Forest, Président du Club des Cent (le Club des Cent – également connu sous le nom de Compagnons de Cocagne – est un cercle gastronomique français privé et interdit aux dames, créé en 1912 par Louis Forest). A l'issue d'un voyage en Limousin où il est frappé par la beauté et la variété des sites, Forest s'en ouvre à Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du journal quotidien Le Matin. Une commission permanente est créée, chargée de pressentir le Président Poincaré, afin qu'il vienne inaugurer une saison d'automne en régions Limousin, Marche, Quercy et Périgord.

Le Président de la République Raymond Poincaré, élu le 17 janvier 1913 et en fonction le 18 février de la même année, répond positivement à la proposition de ce voyage. Dans le contexte de l'époque, Raymond Poincaré cherche plutôt à asseoir sa popularité dans le climat tendu d'avant guerre où s'opposent nationalistes et pacifistes. Il visite ainsi du 8 au 15 septembre 1913, les trois départements limousins (Haute Vienne, Creuse et Corrèze) ainsi que ceux du Lot et de Dordogne. Le voyage est qualifié de "touristique" mais pourtant, tous les services de l’État travaillent d'arrache-pied de longs mois auparavant, pour l'organiser : préfectures et sous-préfectures, police et gendarmerie, municipalités, et même les pompiers. Tous les responsables des syndicats d'initiative sont sur la brèche, ainsi que les associations, sportives et musicales en particulier. La presse est mobilisée et tout le monde enfin attend le Président avec impatience. Le moment venu chacun met la main à la pâte pour décorer villes et villages, tout au long du parcours.

Le trajet de Paris à Limoges a lieu le lundi 8 septembre 1913. Le train présidentiel quitte la capitale à 10 h 45 et un ravitaillement de la machine est nécessaire aux Aubrais. Tout le long du parcours, la population prévenue, attend et salue le convoi. Arrivé à 14 h 15 à Châteauroux, le Président descend de son train pour se rendre à la préfecture. La cérémonie achevée, la délégation regagne le train qui part à 15 h 05. Le voyage se poursuit jusqu'à Saint-Sulpice-Laurière où la municipalité monte à bord du train pour saluer le Président. Le train achève son voyage à la gare des Bénédictins de Limoges vers 17 h 10. A noter l'absence du maire Léon Betoulle qui, avec la nouvelle municipalité de Limoges, décide de ne pas s'associer aux festivités prévues, en désapprobation de la loi des "Trois ans" (loi adoptée le 7 août 1913 qui prolonge la durée du service militaire de deux à trois ans en vue de préparer l'armée française à une guerre éventuelle contre l'Allemagne).

Après la réception et divers échanges de discours en gare, un cortège de 13 voitures hippomobiles (une Daumont pour le Président) se dirige vers la préfecture sous les acclamations. Un nouvel accueil en préfecture suivi de la réception des délégations et de nouveaux échanges de discours précèdent un repas de 68 couverts qui est offert à 19 h par le conseil général dans les locaux de la préfecture et suivi à 21 h d'un programme artistique. Vers minuit, le Président se retire dans sa chambre préparée à la préfecture.

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(Source image : Visite de Raymond Poincaré en Limousin - Chabatz d'entrar ! (blog4ever.com) (Chabatz d'entrar est une expression d'accueil en patois limousin : Finissez d'entrer).

Le voyage touristique du Président débute réellement mardi 9 septembre 1913, au départ de Limoges en voiture automobile (identifiée comme étant une torpédo Rochet-Schneider de 25 CV, décapotable, avec double pare-brise, carrossée par Belvalette – Rochet-Schneider était un constructeur automobile lyonnais racheté par Berliet), pour une excursion à Saint Junien, sur les bords de la Vienne et retour à Limoges. (Source Bibliothèque Municipale de Limoges).

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Les accompagnants du Président (Source : Archives Départementales de la Corrèze – dossier 1 M 99) :

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En Corrèze, le Membre du gouvernement désigné pour faire partie du voyage est donc Mr Louis Klotz, ministre de l'Intérieur, accompagné de son épouse. Mr Armand Mollard est Ministre plénipotentiaire de 1° classe et Directeur du Protocole, et le Général Beaudemoulin, Chef de la maison militaire du Président. Les lieutenants colonels Pénelon et Aubert sont Attachés à la personne du Président.

Sans entrer dans le détail, sans parler de l'accueil enthousiaste et souvent démesuré de la population, ni de la débauche d'apparat et de cérémonial qui ont marqué ce voyage, voici un résumé des étapes du parcours :

10 septembre 1913 : de Limoges à La Courtine, par St Léonard de Noblat, Châteuneuf la Forêt, Eymoutiers, Peyrat le Château avant d'atteindre Saint Junien la Bregère dans la Creuse, Bourganeuf, Guéret, Ahun, Aubusson et Felletin,
11 septembre 1913 : de La Courtine à Tulle, par Ussel, Bort les Orgues, Neuvic, Soursac, Lapleau, Argentat, et Beaulieu (les infos de la journée du jeudi 11 septembre 1913 et la traversée du viaduc des Rochers Noirs seront développées ultérieurement dans un volet dédié),
12 septembre 1913 : de Tulle à Brive, par Uzerche, Lubersac, Pompadour et Varetz,
13 septembre 1913 : de Brive à Cahors, par Souillac, Rocamadour, Gramat, St Céré et St Géry,
14 septembre 1913 : de Cahors à Périgueux, par Puy l'Évêque et Gourdon dans le Lot, puis la Dordogne Domme, Sarlat, St Cyprien, Les Eyzies et St Pierre de Chignac,
15 septembre 1913 : de Périgueux à Bergerac,par Brantôme, Ribérac et Mussidan.

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Avant l'arrivée de Monsieur Poincaré, de nombreux arrêtés municipaux et préfectoraux sont promulgués pour que le voyage s'effectue dans les meilleures conditions de sécurité. Par exemple, le jet de fleurs sur les voitures du cortège présidentiel est interdit, de même le jet de confetti toute la journée. Interdiction est également faite aux commerçants d'encombrer, exposer ou de mettre en vente des marchandises sur les trottoirs ou sur la chaussée des rues parcourues par le cortège. Le tir de pétards, fusées et pièces d'artifices, en quelque endroit que ce soit, n'est autorisé que sur permission préalable du maire. Sur les routes empruntées, le stationnement et la circulation des véhicules de toutes sortes, des bêtes à cornes et de trait, des troupeaux de moutons et autres animaux, sont rigoureusement interdits le jour du passage du cortège officiel. Les services de sécurité dressent, par étape, les plans de l'itinéraire.

Le cortège présidentiel ne compte pas moins de 30 à 40 véhicules, répartis en trois groupes, renforcé parfois d'une douzaine voitures particulières qui grossissent l'effectif départemental. Le groupe A, dit Présidentiel, (brassards tricolores portés au bras gauche des chauffeurs, numéros tricolores sur les côtés et à l'arrière, cocarde tricolore à l'avant), comprend 10 véhicules se suivant toujours dans le même ordre :

- 1ère voiture : M. Oudaille, commissaire spécial et 2 inspecteurs (conduite par M. Sailly, président de l'Automobile Club Limousin),
- 2ème voiture : M. Pujalet, directeur de la sécurité générale et le sous-préfet de l'arrondissement traversé
- 3ème voiture : M. Mollard, directeur du protocole et le lieutenant-colonel Aubert,
- 4ème voiture : le Président de la République et Mme Poincaré (cette voiture porte le fanion présidentiel conduite par M. Edmond Chaix, président de la commission du tourisme de l'Automobile Club de France), un valet de pied,
- 5ème voiture : le général Beaudemoulin, le lieutenant-colonel Pénelon et le préfet du département traversé,
- 6ème voiture : le Ministre de l'Intérieur et Mme Klotz (qui rejoignent le cortège à La Courtine, en remplacement du Ministre de l'Agriculture),
- 7ème voiture : M. Charles Lamy, président des syndicats d'initiative du Centre, avec 3 autres personnalités du monde du tourisme,
- 8ème et 9ème voitures : les députés et sénateurs du département visité,
- 10ème voiture : couverte, avec un valet et une femme de chambre, à disposition du Président Poincaré si besoin.

Le groupe B (brassards et numéros bleus et rouges) transporte les représentants de la presse parisienne et le groupe C, dit groupe départemental, (fanions et numéros bleus) dont la composition varie à chaque département, est réservé au bureau du conseil général, aux présidents des chambres de commerce et de syndicats d'initiative, aux ingénieurs en chef, aux représentants de la presse locale …

Les voitures officielles sont rassemblées à Limoges le 8 septembre à 12 heures, place Marceau. Chaque département traversé doit fournir les véhicules du groupe C. L'allure moyenne est fixée à 30 km/h – certaines journées comportent des trajets de plus de 200 km (207 km pour Cahors Périgueux) – et il faut tenir compte des arrêts. Ces arrêts, en dehors de ceux motivés par le déjeuner, le dîner et le coucher, sont de trois sortes, bien précisés par le programme officiel : arrêt sans descendre de voiture, arrêt en descendant de voiture et présentation du conseil municipal, arrêt vin d'honneur. Le nombre d'arrêts est bien entendu strictement limité, malgré les demandes des maires des communes traversées, mais souvent il y a des arrêts imprévus motivés par l'enthousiasme populaire.

La vitesse est réduite dans la traversée des villes et villages, et pendant le trajet, les voitures sont séparées de 100 mètres, voire davantage si la poussière l'exige (les routes n'étant pas goudronnées à l'époque). Le cortège peut dont s'étirer jusqu'à trois kilomètres de longueur. Les routes sont gardées par la gendarmerie, et la circulation interdite dans les deux sens. Pour éviter les erreurs d'itinéraires, de nombreuses flèches de direction jalonnent le parcours. A chaque croisement est positionné un cantonnier, qui salue militairement d'une main et agite de l'autre un fanion pour signaler la route. Cinq cents mètres avant chaque arrêt prévu, un drapeau blanc est hissé, indiquant aux premières voitures la nécessité de ralentir pour permettre aux suivantes de les rattraper. Ainsi, c'est un cortège compact qui entre dans la ville ou village afin que chacun puisse "voir et entendre".

Une voiture en panne doit se ranger sur la droite et réparer. Elle réintègre ou suit le cortège, mais sans essayer un dépassement. Elle reprend sa place initiale à l'arrêt suivant. Deux mécaniciens munis d'un minimum d'outillage se trouvent dans le dernier véhicule du groupe B pour aider aux réparations en route. Chaque auto doit être munie en permanence d'une cale toujours à disposition du passager près du chauffeur pour permettre de le stopper dans les pentes. Les voitures ne peuvent transporter de bagages qui sont acheminés chaque jour d'un gîte d'étape à un autre par train, transportant également le personnel subalterne ainsi que des voyageurs du cortège le désirant (munis de cartes spéciales). Un service de camions est organisé par les soins des préfets pour prendre les bagages à la gare et les y rapporter. Il suffit à chaque participant au voyage de laisser dans sa chambre sa malle fermée pour qu'il la retrouve le soir à l'endroit prévu pour passer la nuit. Pour éviter les confusions, les étiquettes (de trois sortes différentes) correspondent au groupe : tricolores, bleues et rouges, bleues. Pour l'anecdote, chaque officiel à besoin d'un habit, d'une redingote, d'une jaquette et d'un costume de voyage. L'emploi de ces divers vêtements est minutieusement prescrit par le protocole.

Un déjeuner (110 couverts servis au cercle militaire) offert par la municipalité de Bergerac le 15 septembre 1913 à 12 h 15, clôture la randonnée touristique. Le Président Poincaré et son épouse se rendent à pied à la gare, accompagnés de M. et Mme Klotz ainsi que les personnes de leur suite. Ils prennent place dans un train spécial à 14 h qui les conduit à Agen où l'arrivée est prévue à 17 heures, avant de repartir à 18 h pour une visite les 17 et 18 septembre à Grenade sur Garonne (où le Président Poincaré doit assister à la seconde phase des grandes manœuvres des troupes exécutées dans le Sud-Ouest avant l'arrivée officielle à Toulouse mercredi 17 septembre dans l'après midi). Le train, à vide, tiré par une locomotive du dépôt de Périgueux, est arrivé à 19 h 59 la veille à Bergerac. L'ordre de composition de ce train présidentiel de neuf "wagons" (appellation de l'époque) :

- fourgon de grande vitesse contenant les bagages du Président et ceux de son entourage,
- wagon de 1ère classe, type luxe, pour le personnel domestique de l’Élysée et la Sûreté,
- wagon de grand luxe restaurant,
- wagon de grand luxe salon,
- wagon de grand luxe wagon-lits,
- wagon de grand luxe pour la suite du Président,
- wagon de luxe pour la presse,
- wagon de luxe pour la suite du Président,
- fourgon pour les bagages de la suite du Président,
- wagon type truck portant les colis encombrants. (Source : Société Historique et Archéologique du Périgord)

A suivre, le Président Poincaré traverse le viaduc des Rochers Noirs à bord du tramway de la Corrèze.

Cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Messagepar c.delarnaque » 09 Août 2024, 11:55

Salut à tous,

Arrivée à La Courtine la veille, et après la nuit au camp militaire, réveil à 6 h précises avec un départ à 7 h 45 pour la quatrième journée d'excursion, ce jeudi 11 septembre 1913 selon l'itinéraire suivant :

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La route suivie par le cortège présidentiel et la durée des arrêts ont fait l'objet au préalable de longues et pénibles discussions. Lorsque l'itinéraire est publié en août 1913, Henri Queuille maire de Neuvic ne cache pas sa colère dans un courrier du 27 août au préfet (un arrêt sans descente de voiture pour sa commune). Il est prévu qu'au cours de cette même étape en Corrèze, le Président déjeune à Lapleau, commune trois fois moins peuplée que Neuvic, mais dont le maire, M. Rouby (Jean, Pierre, Bernard, Antoine, Hippolyte Rouby, médecin, 29 mai 1860 Lapleau 21 décembre 1920 Paris), sénateur et président du conseil général siège au Sénat.

Pour l'anecdote, M. Rouby, dans un courrier au préfet, s'inquiète des médiocres commodités offertes par la mairie : "Il est certain que si Mme Poincaré veut se reposer un instant ou arranger sa toilette, elle acceptera de venir à la maison où tout sera mis à sa disposition. En tout cas, je ferai préparer, suivant votre désir, le cabinet du juge de paix. Il y aura une chaise percée derrière un paravent et un lavabo. Aucune difficulté pour cela …". L'épisode de la chaise percée, authentifié par la lettre du sénateur Rouby, a connu de nombreux enrichissements, au point qu'il se trouvait encore 80 ans plus tard, des Corréziens qui, pour s'excuser en certaines occasions, indiquaient "je vais chez Mme Rouby". En fait ce sont de vrais WC (un réservoir avec une quantité d'eau suffisante faisant office de chasse d'eau) qui ont été installés chez M. Rouby, et d'après les investigations postérieures de témoins parfaitement fiables, Mme Poincaré n'a pas eu à utiliser la fameuse chaise percée.

Après avoir traversé le village de Soursac, le Président et sa suite quittent leurs automobiles (qui rejoignent Lapleau par la route) à la station du tramway, au lieu-dit Les Tournadoux et montent à bord du "Tacot". La population de Soursac, grossie par les habitants des communes alentour, est venue en nombre. Deux trains sont formés, l'un présidentiel et l'autre réservé à la presse. M. Poincaré prend place dans la voiture salon à deux essieux du tramway pour traverser le viaduc des Rochers Noirs. Cette voiture salon du POC, construite en 1904 par les établissements Blanc Misseron à Crépin (59) n'a eu qu'une courte période d'activité. Destinée aux déplacements du préfet dans le département, elle n'a presque jamais été utilisée. L'inauguration du viaduc des Rochers Noirs lui offre son jour de gloire ce 11 septembre 1911 en transportant le Président Poincaré.

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En ce jour de grande fête populaire, le personnel de la Compagnie des Tramways est loin de partager l'insouciance de la foule. L'inquiétude d'un possible déraillement du convoi laisse planer une grande crainte sur le bon déroulement des 9 kilomètres du parcours. Par chance, aucun incident n'est à déplorer, et la légende raconte même que c'est le seul trajet de l'histoire du "Tacot" durant lequel il n'a pas quitté la voie.

A la sortie du grand tunnel, le train marque un arrêt au milieu du viaduc pour permettre au Président d'admirer à loisir l'ouvrage majestueux et le cadre sauvage de la vallée de la Luzège. Pour éviter aux augustes voyageurs les désagréments de la fumée ou autres escarbilles, la locomotive est placée à l'arrière et pousse la rame en direction de Lapleau. (Source ouvrage de Jean Paul Toulzat)

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A 11 h précises, le train présidentiel arrive à Lapleau, salué par une salve d'artillerie. M. Poincaré descend, attendu M. Rouby sénateur, président du conseil général et maire de Lapleau (Jean, Pierre, Bernard, Antoine, Hippolyte Rouby, médecin, 29 mai 1860 Lapleau 21 décembre 1920 Paris) au milieu d'une foule en liesse. La petite cité est pavoisée de drapeaux, guirlandes et lanternes.

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Le comité d'accueil avec des enfants aux bras chargés de bouquets de fleurs et deux joueurs de "cabrette" :

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Le cortège se rend à pied de la gare à la mairie. Le Président est encadré par le général Beaudemoulin et M. Mollard, Directeur du protocole de l'Élysée. Suivent Mme Poincaré au bras de M. Rouby ainsi que les lieutenant colonel Pénelon et Aldebert (artillerie). Viennent ensuite Mme Rouby au bras de M. Klotz, ministre de l'intérieur, et Mme Klotz au bras de M. Lacombe, préfet de la Corrèze. (Source journal Le Temps 1913 – crédit photos Agence ROL, BNF Gallica)

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Le déjeuner offert par le conseil municipal est servi dans la grande salle de la mairie, tandis que les journalistes sont les hôtes du Syndicat d'Initiative de la Corrèze. Trente six convives sont répartis entre deux tables. M. Poincaré préside l'une, ayant à sa droite Mme Rouby et à sa gauche M. Dellestable, sénateur de la Corrèze et Conseiller général de Neuvic. M. Rouby, sénateur, président du conseil général et maire de Lapleau, préside l'autre, avec à sa droite Mme Poincaré et à sa gauche Mme Klotz et en face de lui Mr Klotz. A la fin du déjeuner, M. Rouby, porte aimablement son verre à la santé du Président de la République qui lève le sien en l'honneur et la prospérité de la commune de Lapleau. (Crédit photo : ouvrage Tacots et Cahots – Jacques Maligne)

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L'entrée de la salle de la mairie où a lieu le banquet est elle aussi très décorée (Crédit photo : ouvrage Tacots et Cahots – Jacques Maligne)

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Le départ pour Tulle, qu'il faut gagner avant la nuit, est avancé d'une heure et le cortège reprend la route à une heure un quart (13 h 15) pour rallier Tulle via Spontour, Argentat et Beaulieu, soit un peu plus d'une centaine de kilomètres à parcourir.

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La voiture présidentielle, chaussée de pneus Michelin, porte à l'avant gauche le pavillon personnel du Président, en soie tricolore avec les initiales R. P. brodées en lettres d'or, et surmonté d'une lance dorée frappée des initiales R. F. de la République.

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A suivre, l'actualité du viaduc des Rochers Noirs,

Cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Messagepar c.delarnaque » 11 Août 2024, 16:18

Salut à tous,

Après la réception officielle du viaduc des Rochers Noirs le 10 mai 1913 et l'ouverture à l'exploitation de la portion de voie entre Lapleau et Soursac le 1er août 1913, l'ouvrage sur la Luzège permet de relier Tulle à Ussel en tramway. La population est dans l'ensemble satisfaite du désenclavement offert par le Transcorrèzien, à une époque où la majorité des déplacements s'effectue le plus souvent à pied, parfois à vélo ou voiture hippomobile pour les plus fortunés. Même si les vitesses ne dépassent guère les 15 km/h dans un confort tout relatif, même si le Tacot accuse quelques déraillements, souvent sans autre conséquence qu'une perte de temps, le tramway devient vite essentiel pour la vie locale.

Mais le premier conflit mondial s'accompagne des effets habituels liés à ce genre d’événement : dégradation du matériel, des installations et de la voie par manque de personnel, bien que les gares, gérées par les femmes, souffrent moins de la situation. Puis la compagnie des TC fait face à la terrible inflation après la guerre 1914/1918. Le charbon, dont la consommation est importante compte tenu du relief de la ligne, génère des dépenses telles qu'il faut envisager des solutions moins coûteuses pour le transport des voyageurs. Dans les années 1920, des autorails (d'occasion, par soucis d'économie) sont achetés, un wagon à bogies est converti en wagon mixte, et, dans les années 30, signe prémonitoire de l’avènement de l'automobile, la portion Ussel Neuvic est assurée par un autocar Renault. Les malheurs de la seconde guerre mondiale apportent cependant un répit pour les Tramways, car le manque de carburant pour les autocars et autres voitures particulières augmente la fréquentation des voyageurs. Mais, à la libération, le matériel est usé, hors d'âge et le Tramway est victime du développement de l'automobile et de la concurrence du trafic routier. Le 1er janvier 1960, le viaduc des Rochers Noirs est fermé à tout trafic ferroviaire suite à la suppression de la dernière section de Neuvic à Tulle.

Le monument ne subit pas de modification importante depuis sa construction. Afin de faciliter l’entretien de l’ouvrage, une nacelle d’inspection est mise en œuvre en 1927. Pour cela, le chemin de roulement de la nacelle est installé sous le tablier, dans l’épaisseur des pièces du pont, fixé à celles-ci et aux poutres de rive. En 1964, après déferrage de la voie, le viaduc est aménagé en pont routier (avec des chasse-roues de guidage rapportés), emprunté par la route départementale "touristique" D 89E jusqu’en 1983.

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La route n'étant pas plus large que la voie ferrée qu'elle remplace, des feux tricolores de part et d'autre de l'ouvrage régulent la circulation alternée sur le viaduc :

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(Crédit photos ci-dessus : expo 2024 mairie Lapleau)

A partir de 1977, l’état du viaduc préoccupe la Direction Départementale de l’Équipement de la Corrèze, qui commande une première inspection détaillée menée par les C.E.T.E. (Centre d'Études Techniques de l'Équipement) de Lyon et de Bordeaux. Cette première inspection conclut que le pont est en bon état général et peu sollicité par le trafic. En 1983, l’entreprise Arnodin prélève deux câbles U3 sur la suspension pour analyse. L’étude des câbles déposés montre que toutes les ruptures se situent dans la deuxième couche de fils et que toutes les couches sont très corrodées. Sur 3 m, on compte 12 fils rompus. Le phénomène de rupture fissurante sous tension est diagnostiqué, conséquence de la composition chimique défectueuse du câble. Les câbles U3 aval sont remplacés.

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Les inspections réalisées depuis 1977 et la dernière auscultation électromagnétique des câbles de 1983, corroborée par les tests destructifs de 1983, mènent à la décision de travaux d’urgence sur le viaduc. Le 11 juillet 1984 un appel de candidatures pour le changement des câbles de retenue et la réfection des ancrages. Le 31 octobre 1985, ces travaux (y compris les culots et leurs étriers hauts et bas) réalisés par l'entreprise Arnodin de Larche (19) sont réceptionnés. Les câbles d’amarrage au nombre de 4 sont remplacés par 8 tirants d’amarrage. Les coussinets déviateurs sont remplacés. Quelques travaux sur les maçonneries sont réalisés. Un arrêté interdisant la circulation de tout véhicule sur le viaduc est pris le 26 novembre 1982 (l'ouvrage reste cependant accessible aux piétons).

Le 18 décembre 1993, l'association ASTTRE19 est déclarée en préfecture. Son but est la défense du patrimoine que représente le Viaduc et la plate-forme du Tramway Corrézien (avec ses tranchées, remblais, tunnels et prises d’eau) dans le cadre de la gorge de la Luzège. Les bénévoles de cette association ont énormément œuvré pour la réhabilitation du viaduc des Rochers Noirs, et n'ont de cesse d'alerter sans relâche les autorités et partenaires concernés sur la nécessité de sauvegarder ce patrimoine architectural. Le Viaduc des Rochers Noirs est aujourd’hui un type d’ouvrage rare puisque sur les 41 ponts de type Gisclard construits à travers le monde, seuls 5 subsistent en France métropolitaine et 1 en Nouvelle Calédonie : le pont de la Cassagne (Monument Historique – Pyrénées Orientales), le viaduc des Rochers Noirs (Monument Historique – Corrèze), les ponts du Bourret (Monument Historique – Tarn et Garonne), de Lézardrieux (Côtes d'Armor), du Port-à-l'Anglais de Vitry (Val de Marne) et la passerelle Marguerite (Monument Historique – Nouvelle Calédonie).

Afin de prévenir la destruction de l’ouvrage, le Conseil Départemental de la Corrèze, propriétaire de l'ouvrage, demande son classement à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1995. En 1998, le revêtement routier de la chaussée est déposé pour rendre au pont son état d'origine. Le viaduc est alors réservé aux piétons. En 1999, le Conseil Départemental de la Corrèze commande à Bertrand Lemoine un mémoire sur le viaduc des Rochers Noirs en vue de son classement au titre des monuments historiques, par le Ministère de la Culture, qui est effectif le 6 décembre 2000. Au fil du temps, l’ouvrage se dégrade et, dans le cadre d’une étude préalable à la sauvegarde et la mise en valeur de l’ouvrage menée à partir de 2005, le bureau d’études Artcad fait réaliser des essais sur les barres filetées d'ancrage des câbles. Les essais et mesures effectués imposent la fermeture totale du viaduc au public qui est actée par arrêté municipal en juillet 2005 pour raisons de sécurité.

A suivre, diagnostics structurels et projet de restauration du viaduc des Rochers,

Cordialement,
C. Delarnaque
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Re: Viaduc des Rochers Noirs - Tramways de la Corrèze

Messagepar c.delarnaque » 15 Août 2024, 06:09

Salut à tous,

Aidé par la détermination de l’association ASTTRE 19 à rouvrir le viaduc un jour au public, l’investissement financier de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) et la mise en lumière du viaduc par le Loto du patrimoine de Stéphane Bern, le Conseil Départemental de la Corrèze lance une consultation pour la restauration du viaduc des Rochers Noirs. Pour ce chantier exceptionnel, les travaux d'ampleur sur le monument historique ont un coût : : 6 657 000 € HT. Pour les financer, le Conseil Départemental de la Corrèze peut compter sur une subvention de 50 % du montant des travaux versée par la DRAC. Les collectivités (Région, État et Europe) interviennent à hauteur de 30 %. Pour les 20 % restants, le Conseil Départemental a déjà reçu l’aide de la Fondation du patrimoine qui, dans le cadre de la Mission Bern et du Loto du patrimoine, a remis un chèque de 500 000 € au Département. Pour compléter la somme, ce dernier a lancé une souscription publique dans le but de collecter 150 000 €.

Dans le cadre de ce projet de réouverture, le groupement d’entreprises RL&A, Setec TPI et Setec Diadès est missionné en 2020 pour réaliser la maîtrise d’œuvre études et travaux de restauration de l’ouvrage. L’objet premier de l’inspection détaillée de 2020 du viaduc des Rochers Noirs est de mettre à jour l’état sanitaire de l’ouvrage. La dernière analyse date de 2005 et a précédé la fermeture totale du viaduc au public (circulation automobile et accès piéton). Sur la base des constatations réalisées par les inspecteurs de Setec Diadès, les dégradations, désordres et problèmes visibles rencontrés sur l'ouvrage sont faiblement évolutifs depuis 2005. Ce dernier n’est plus sollicité à ce jour, mais toujours soumis au vieillissement ainsi qu'aux aléas climatiques. L’inspection de 2020 permet également de compléter notablement la connaissance de l’ouvrage et de son état par rapport à 2005. Les conclusions principales retenues sont les suivantes, par éléments structurels :

- Maçonneries : l’inspection complète des parements a mis à jour un état général visuellement sain. Cependant, de nombreuses zones restent incertaines, car il y a de fortes couvertures de végétation. Quelques zones particulières identifiées sont à restaurer (angle Sud-Ouest sur pile rive gauche, maçonnerie sous les appuis du tablier).

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- Galeries d’amarrage : l’humidité constante, du fait de défauts de drainage, a pour conséquence des répercussions sévères sur la durabilité des tirants, pourtant déjà changés en 1985. La rive droite présente des désordres plus prononcés que la rive gauche.

- Câblerie et suspension : l’oxydation visuelle extérieure des câbles est constatée en de nombreux points, du fait de l’altération du revêtement anticorrosion, par endroits disparu. Des défauts de masticage sont systématiquement constatés aux entrées de câbles sur culots. L’état des haubans U3 de 1985, et de leurs étriers et culots de terminaison, est très médiocre. Ces constats de l’état visuel des câbles sont complétés de l’état interne de corrosion des câbles (déjà jugé très préoccupant en 2005), et de la fragilité des pièces relais. Ces deux risques, qualifiés au travers d’investigations complémentaires par le passé, sont toujours d’actualité.

- Tablier : le revêtement anticorrosion est altéré et à refaire. Au constat des pièces de charpente métallique plus fortement corrodées que la simple attaque de rouille généralisée, quelques réparations ponctuelles sont à prévoir. Ces problèmes structurels sont associés aux défauts d’assainissement du viaduc.

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- Massifs d’amarrage et bloc rocheux rive droite aval : des risques géotechniques potentiels ont été identifiés. Ces risques sont à mieux qualifier pour le projet de restauration et pour la sauvegarde de l’ouvrage.

- Chariots de dilatation : ils sont constatés mobiles côté amont, à déterminer côté aval. Les chariots sont dans l’ensemble dans un état visuel correct.

- Platelage : les dispositions d’assainissement du platelage sont mauvaises. Des déformations de la tôle de 6 mm très peu raidie, ont été constatées, ainsi qu’une corrosion importante sur les tôles d’extrémité du fait d’effets dynamiques.

- Garde-corps : la peinture anticorrosion est à reprendre. Les garde-corps actuels ne sont pas conformes à la norme applicable sur ouvrages d’art neufs (hauteur de retenue et remplissage insuffisant).

- Accès : la préservation de la nacelle de visite existante est un enjeu crucial pour la surveillance à venir de l’ouvrage.

Les analyses réalisées dans le cadre du diagnostic de l’ouvrage viennent compléter les campagnes réalisées antérieurement. Des campagnes d’auscultation des câbles ont notamment été réalisées en 1979, 1982 et 2004. Les conclusions de ces investigations indiquent notamment des zones de corrosion importantes, internes et externes, sur différents câbles auscultés aléatoirement. Le platelage existant est une tôle de 6 mm d’épaisseur. Sur les parties non dégradées, les investigations ont montré qu’il n’y avait pas de perte de section notable, que l’acier du platelage est soudable.

Des investigations ont été réalisées sur les chariots de dilatation à rouleaux multiples. Les rouleaux permettent à l’ouvrage de se déplacer longitudinalement sous l’effet de la dilatation thermique (fonction des conditions météorologiques) et des efforts dynamiques, sans créer de contraintes dans les pylônes en maçonnerie. Les rouleaux ont été auscultés à l’aide d’un vidéo-endoscope, afin d’observer les éventuelles déformations géométriques sur leur surface de contact avec les plaques métalliques sous-jacentes et sus-jacentes, ainsi que leur état visuel extérieur. La présence de nombreuses zones de rouille entre les rouleaux et les zones d’appui inférieure révèlent des pertes de matière par corrosion. Les rouleaux d’appui présentent un état de corrosion de surface généralisé (rouille), parsemé de petites pertes de matière dont la profondeur semble inférieure à 2 mm. La zone d’appui entre la partie supérieure des rouleaux et la pièce de support des câbles présente une corrosion (rouille) sur 100% de sa surface. A l’issue des investigations, la probabilité du blocage des rouleaux des chariots de dilatation est forte.

Dans le cadre du diagnostic, une inspection géotechnique du viaduc des Rochers Noirs est réalisée par le Cerema en 2021 (Centre d'Études et d'Expertise sur les Risques, l'Environnement, la Mobilité et l'Aménagement). L’objectif est d’identifier d’éventuels aléas rocheux susceptibles de représenter un risque pour les différentes parties du viaduc. Les falaises rocheuses en rives droite (côté Lapleau) et gauche (côté Soursac) sont inspectées au-dessus et sous les massifs d’ancrage, le tablier et les pylônes. En ce qui concerne le risque de chutes de blocs au droit des culées et des galeries d’amarrage pouvant impacter les pylônes et/ou les câbles, il est constaté qu'en rive droite, certains aléas constituent une menace directe pour la route d’accès au viaduc ou risquent d’impacter directement le pylône de l’ouvrage. En rive gauche, un aléa représente un risque pour l’accès au viaduc entre le tunnel et le pylône et d’autres sont susceptibles d’impacter directement le pylône. Des travaux de sécurisation des fronts rocheux sont donc à prévoir dans le cadre de la réouverture de l’ouvrage au public.

La définition du projet de restauration nécessite de recalculer l’ouvrage dans la situation projetée, car l’ouvrage a été conçu comme un pont-rail devant résister à des charges ferroviaires, et il est transformé en passerelle pour les piétons et les cyclistes, avec un passage occasionnel de véhicules (de secours ou d’entretien). Le train d'épreuve de l’époque pesait 137,5 tonnes, alors que les véhicules admis à circuler sur l’ouvrage restauré seront des véhicules beaucoup plus légers (type véhicule pompier de secours et d'assistance aux victimes ou nacelle élévatrice) dont le poids ne dépasse pas 5 tonnes. En revanche, les roues du tramway circulaient sur les rails situés juste au-dessus des longerons sous le tablier, alors que les véhicules doivent pouvoir accéder en tout point du tablier. L’épaisseur du platelage existant de 6 mm est uniquement prévue pour accueillir le personnel d’entretien de la voie ferrée, elle est insuffisante pour reprendre une charge de roue d’un véhicule de 5 tonnes. Le recalcul démontre la nécessité de changer le platelage existant, pour le remplacer par un platelage neuf muni de raidisseurs en sous face lui permettant de reprendre la charge d’un véhicule de secours ou d’entretien. Un platelage neuf en acier d’environ 90 tonnes sera ainsi mis en place sur l’ouvrage, après dépose du platelage existant. Il est également intéressant de noter que la charge de foule réglementaire correspond à 270 kg/m², soit près de 3 ou 4 personnes par mètre carré, de sorte que la charge totale de dimensionnement en cas de foule représente 190 tonnes ce qui est supérieur à la charge d’origine du train. Toutefois, les câbles modernes ont une résistance supérieure aux câbles anciens qu’ils viendront remplacer, ce qui absorbe le supplément de charge à reprendre.

Le remplacement de l’intégralité de la suspension constitue le plus grand défi technique à relever en phase travaux. Deux méthodes de remplacement de la suspension sont généralement employées. La première consiste à installer une nouvelle suspension en parallèle de la première, puis effectuer un transfert de charge de la suspension existante à la suspension neuve, et déposer ensuite la suspension existante. Cette méthode n’est pas applicable dans le cas du viaduc des Rochers Noirs qui est classé monument historique et dont l’un des critères du classement réside dans la rareté du câblage. Il convient donc de mettre en place une suspension neuve dont l’épure géométrique respecte strictement la configuration d’époque. Une seconde méthode est alors employée, qui consiste à déployer un câble provisoire reprenant, pendant une durée limitée, la totalité du poids du tablier, le temps de déposer la suspension Gisclard existante et d’installer une nouvelle suspension Gisclard qui prend l’exacte place de la suspension existante. Deux opérations de transfert de charges sont alors réalisées pour changer la suspension. Ce sont des opérations de haute technicité qui nécessitent un parc important de matériel de chantier fabriqué spécifiquement pour le cas et un ensemble de vérins hydrauliques permettant d’imposer la géométrie et les efforts dans la structure en temps réel lors des transferts de charges. Les étriers, qui connectent les câbles entre eux, sont remplacés par des étriers en acier à haute résilience, c’est-à-dire des aciers non fragiles à basse température, qui est une des pathologies connues pour les ponts suspendus anciens et qui a conduit à l’effondrement du pont suspendu de Sully-sur-Loire en 1985. Les cylindres métalliques à l’intersection des câbles (axes), le nœud central et le chariot de dilatation en tête de piles, sont conservés en vertu de leur caractère historique et de leur état sanitaire satisfaisant.

Les garde-corps actuels ont une forte valeur patrimoniale au titre de l’originalité de leur dessin typique des ponts Gisclard. En revanche, ils ne sont pas conformes aux normes actuelles car leur hauteur de 90 cm est insuffisante pour répondre aux nouveaux usages, notamment cyclistes. De plus, ils ne fournissent qu'une résistance insuffisante et ils sont trop ajourés, ce qui pose un problème de sécurité. Le projet de restauration prévoit donc une mise aux normes des garde-corps, sur la base d’un rehaussement porté à 120 cm, d’un renforcement structurel des montants et de la mise en place d’une maille inox fine assurant la sécurité des jeunes enfants. Le dessin du garde-corps restauré s’inspire de celui du pont de Bourret qui est un autre pont Gisclard. En outre, le garde-corps restauré réemploie, autant que possible, la matière d’origine, dans un souci de conservation patrimoniale puisque l’ouvrage est classé monument historique.

(57) Garde corps Conseil Départemental Corrèze.jpg
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Le projet prévoit également une régénération des maçonneries qui comprend un nettoyage des parements, une dé-végétalisation des piles et culées, une excavation des éboulements accumulés derrière les piles, un démontage/remontage des maçonneries désorganisées, un rejointoiement, et enfin une application d’eau forte, afin d’améliorer la finition et la protection des parements. Les travaux de régénération des maçonneries nécessitent de monter des échafaudages tout autour des pylônes et de disposer un bâchage général, afin d’effectuer les travaux de nettoyage par hydrogommage sans rejet dans l’environnement. Des essais de convenance sur la teinte du matériau de regarnissage des joints ont été réalisés en présence de la DRAC Région Nouvelle Aquitaine et de l’architecte en chef des monuments historiques RL&A mandataire du groupement de maîtrise d’œuvre.

L’inspection détaillée a montré une corrosion du platelage lié à des défauts d’assainissement et d’étanchéité. Le platelage sera remplacé par un platelage neuf recouvert d’un complexe d’étanchéité et muni de drains pour évacuer l’eau de pluie sans éclaboussure sur le tablier. L’inspection détaillée n’a pas révélé de sérieux désordres sur la poutraison du tablier, toutefois la peinture de protection anti-corrosion est écaillée, en fin de vie, et ne joue plus son rôle, ce qui n’est guère étonnant compte tenu de l’âge plus que centenaire de la structure. L’intégralité de la poutraison métallique sera donc repeinte, en décapant la peinture existante par sablage, sous confinement et captation des déchets de sablage, et en appliquant un nouveau complexe de peinture ACQPA (Association pour la Certification et la Qualification en Peinture Anti corrosion) de classe C4 H AMV, qui correspond à une catégorie de corrosivité élevée, afin d’allonger la vie de la structure en lui donnant une nouvelle jeunesse. Le complexe de peinture, de couleur noire conformément à la teinte d’origine, sera mis en œuvre par des opérateurs certifiés ACQPA. Les câbles sont des éléments primaires du système porteur et disposeront d’une double protection contre la corrosion : une première couche de galvanisation à chaud appliquée en usine, et une deuxième couche de peinture ACQPA, de couleur noire, appliquée sur site une fois les câbles mis en position définitive. Les tirants d’amarrage dans les galeries d’ancrage sont également pourvus d’une double protection galvanisation plus peinture, en raison de l’environnement humide régnant dans les galeries d’ancrage qui accélère la corrosion comme en attestent l’inspection détaillée et les désordres très prononcés sur les tirants d’amarrage existants. Des drains seront réalisés aux points bas des galeries d’ancrage pour évacuer les eaux d’infiltration dans les galeries en continu et éviter la stagnation d’eau dans ces galeries qui est préjudiciable à la durabilité des tirants d’amarrage qui retiennent à eux seuls tout le poids du tablier.

Dans l'attente de redécouvrir le viaduc des Rochers Noirs aux Journées Européennes du Patrimoine 2024, ainsi se clôture le sujet qui m'a permis de vous présenter cet ouvrage d'art impressionnant, d'autant plus exceptionnel de part son affectation au service d'une petite ligne à voie métrique. Autre ouvrage sur la ligne Tulle Ussel des Tramways de la Corrèze : le pont de Lantourne près de Marcillac la Croisille, mais ce sera peut-être, un jour, une autre histoire.

Cordialement,
C. Delarnaque
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