Salut à tous,
L'expo photo sur le viaduc des Rochers Noirs que je me promets de visiter très prochainement me donne l'occasion d'ouvrir un sujet consacré à cet impressionnant ouvrage d'art sur la ligne de Tulle à Ussel des Tramways de la Corrèze.
Mes sources de références : Actus Limousin, Archives Départementales de la Corrèze, Associations Asttre 19 et FACS (Fédération des Amis des Chemins de fer Secondaires), BNF Gallica, Bulletin des lois de la République Française, Cinémathèque de Nouvelle Aquitaine, Conseil général de la Corrèze, Direction Régionales des Affaires Culturelles Nouvelle Aquitaine, F Jacqmin – 1872 Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Francis R....... (association Le Train Briviste Corrézien), Gilbert Gannes (Le Transcorrézien), Marc Dupuis (le P.O), Jacques Maligne (Tacots et Cahots), Jean Paul Toulzat (1912-1913 … il y a 100 ans, les Tramways de la Corrèze), Le Génie Civil (revue générale des industries françaises et étrangères), presse écrite La Montagne, sites internet Alternatives économiques, Chemins.de.traverses.free, Immatérielles.org, La Corrèze.com, Les Trains de l'Histoire, Ruedupetittrain.free.
A l'issue de la guerre franco-prussienne (19 juillet 1870-29 janvier 1871) et l'insurrection qui débouche sur La Commune de Paris puis la chute du Second Empire, la France se trouve dans une situation économique et financière délicate. Après la signature du traité de Francfort en mai 1871, la défaite militaire lui est coûteuse à plusieurs égards. Le conflit en lui-même a généré des dépenses publiques conséquentes (estimées à 3 ou 4 milliards de francs), qui ont sévèrement entaillé le budget de l’État. Outre les pertes humaines et matérielles, la France doit abandonner l'Alsace et une partie de la Lorraine (2 millions d’habitants et de nombreuses activités industrielles : textile, métallurgie, mines). Elle doit surtout faire face à l’obligation de payer au vainqueur une indemnité de guerre de plus de 5 milliards de francs-or auxquels il faut ajouter 567 millions d'intérêts. Le relèvement national exige ainsi un effort financier exceptionnel dans l’immédiat après-guerre, le coût total de la guerre perdue étant évalué à 9 milliards de francs.
C'est dans ce contexte que le 4 août 1876, le Sénat nomme une Commission composée de dix-huit membres chargée d'étudier les futurs chemins de fer d’intérêt général. Le rapport révèle entre autre que le territoire français compte tenu de sa superficie ne comporte pas assez de voies ferrées pour être irrigué convenablement. Le réseau constitué alors par 22 000 km doit être étendu à plus de 40 000 km pour accompagner les progrès économiques du pays. Le ministre des Travaux publics, Charles Louis de Saulces de Freycinet (1828–1923, ingénieur du corps des Mines, polytechnicien), ancien collaborateur de Léon Gambetta et en poste depuis le 13 décembre 1877 dans le ministère d’Armand Dufaure, adresse le 12 janvier 1878 au Président de la République un rapport dans lequel il signale la nécessité de donner une vive impulsion aux travaux publics. Afin d'assurer un développement rapide et centralement organisé, le réseau des voies ferrées ainsi que les canaux – à petits gabarits – et les installations portuaires sont au cœur d'un ambitieux programme destiné à favoriser les circulations et répondre aux attentes des milieux économiques du moment. Pour la IIIe République naissante, il s’agit à la fois de rattraper un certain retard industriel sur l’Angleterre, la Belgique, les Pays Bas et l’Allemagne, de stimuler les échanges et de désenclaver des territoires alors mal desservis. Pour sa mise en œuvre, le "plan Freycinet" (1878-1914) est inscrit dans la loi de Finances. Selon Freycinet, tout comme chaque commune doit devoir disposer d’une école laïque, gratuite et obligatoire, toutes les sous-préfectures ainsi qu’un maximum de chefs-lieux de canton doivent être reliés au réseau des chemins de fer. Outre ces considérations économiques, le plan masque cependant une orientation un peu plus politique pour la promotion de la Troisième République auprès du monde rural, dans l'ensemble peu favorable au nouveau régime.
Par un décret en date du 2 janvier 1878 et publié le lendemain au Journal Officiel, le ministre met en place 6 commissions techniques régionales chargées de dresser avant le 31 mars 1878 dans leurs zones d’action respectives, les listes des lignes d’intérêt général restant encore à construire. Le 17 janvier, le ministre avait expédié des circulaires à tous les Préfets afin de lui faire connaître en retour les vœux émis par les Conseils généraux dans leurs sessions de l’année 1877. En avril 1878, les travaux de ces 6 commissions sont soumis au Conseil général des Ponts et Chaussées puis adressés au ministère de la Guerre pour l’aspect stratégique de ces voies. Le projet ayant retenu une liste de 154 lignes, en plus des 53 autres antérieurement concédées à titre d’intérêt local, est ensuite remis le 4 juin au parlement pour sa discussion. Ce rapport est rendu public le 8 juin 1878, mais finalement officialisé par la loi du 17 juillet 1879. A la suite du dépouillement des diverses délibérations des Conseils généraux et de l’examen de communications émanant de membres du Sénat et de la Chambre des députés, Freycinet doit ajouter quelques centaines de kilomètres supplémentaires à son premier classement. Il présente ces modifications à la Chambre les 4 et 25 novembre 1878. Les listes remaniées comprennent alors 162 lignes nouvelles ainsi que 64 autres chemins de fer d’intérêt local à incorporer.
Le 15 mars 1879, un nouveau rapport est présenté à la Chambre par le député Wilson. Il conclue à l’impérieuse nécessité de passer rapidement à la réalisation de cet ensemble de lignes ferroviaires. Le classement se trouve en outre à nouveau modifié lors de plusieurs séances. Freycinet ouvre le 30 mars 1879 la discussion finale qui dure jusqu’au 2 avril pour être ensuite transmise au Sénat. Le pays doit donc faire face aux constructions de près de 18 000 km de voies ferrées… induisant une dépense pour l’État de 3,5 milliards de francs ainsi que de 1,5 milliard de francs pour la navigation intérieure, soit un total de cinq milliards de francs.
La loi définitive n° 8168 relative au renforcement du réseau ferroviaire est votée le 17 juillet 1879 et publiée au Journal Officiel le lendemain. Le classement annexé prévoit la réalisation de 181 lignes de voies nouvelles ( 8 848 km) dans le réseau des chemins de fer d'intérêt général à l'écartement de 1435 mm afin de desservir toutes les sous-préfectures du pays (ainsi que des études complémentaires pour 4 152 km). Faute d’accord avec les compagnies, on décide également que l’État se charge des frais d’infrastructure et de superstructure. La nature du mode d’exploitation de ces lignes n’est toutefois pas encore définie. Comme il est également nécessaire de désenclaver tous les chefs lieux de cantons par des réseaux secondaires, des lignes dites "d’intérêt local" à voie étroite sont construites, principalement à l'initiative des conseils généraux. La longueur des ces réseaux départementaux passera de 2 187 kilomètres en 1880 à 17 653 km en 1913. La réalisation du plan Freycinet se poursuit jusqu’en 1914, et il sera pratiquement entièrement réalisé.
Localement, le projet de la loi Freycinet prévoit de doter la Corrèze d’un réseau secondaire, géré par la compagnie du P.O. Ce chemin de fer à voie métrique dénommé le "Paris-Orléans-Corrèze" (ou "P.O.C"), ouvre 3 courtes lignes au public en 1904 : Seilhac-Treignac (29 km), Tulle-Argentat (31,9 km) et Uzerche-Tulle (33,6 km). Cependant, ces relations ne prévoient pas de desservir les importantes zones de peuplement situés entre le plateau de Millevaches et la vallée de la Dordogne (La Roche-Canillac, Lapleau, Saint-Privat, Neuvic, etc.). Dans ce contexte, le Conseil Général opte pour la création d’un réseau de tramways à l'écartement métrique, géré par le département (déclaration d’utilité publique le 30 janvier 1897). Plusieurs projets se succèdent de 1903 à 1907. Le 24 avril 1908 paraît le décret déclarant d'utilité publique l'établissement, dans le département de la Corrèze, d'un réseau de tramways pour les lignes suivantes :
- La Rivière de Mansac à Juillac (26,625 km),
- Aubazine-Saint-Hilaire-Peyroux à Beaulieu-sur-Dordogne (38,594 km) avec les embranchements Le Moulin du Faure vers Beynat (2,271km + 12,788 km depuis Aubazine) et Le Bosplos à Turenne (18,244 km + 23,069 depuis Aubazine),
- Tulle à Ussel, rebaptisé plus tard "Transcorrézien" ou "Tacot" (100,808 km), avec l'embranchement Le Mortier-Gumond à La Roche-Canillac (4,521 km + 19,612 km depuis Tulle). (Source ouvrage "Cahots et Tacots" Jacques Maligne.
Le décret d’application qui est publié au Journal Officiel le 30 avril 1908, ouvre alors en Corrèze un des plus importants chantiers de France pour ces 3 lignes ferroviaires. A noter toutefois leur configuration défavorable, sans communications entre elles, obligeant la compagnie à disposer de matériels roulants et d’infrastructures dédiés. De plus, excepté Tulle – Ussel, certains terminus n'offrent qu'un mince attrait commercial car ces petites gares sont géographiquement très proches de Brive (La Rivière de Mansac, Turenne et Aubazine). La Compagnie du PO élimine ainsi toute concurrence et refuse que les réseaux métriques atteignent Brive. Les Tramways desservent donc, par défaut, des gares isolées et éloignées de la grande ville, de ses marchés et des correspondances favorables de la grande artère.
La ligne métrique la plus importante des Tramways départementaux de la Corrèze est celle qui va relier Tulle, la préfecture, à Ussel (via 9,925 km du tronc commun avec le "P.O.C" : Tulle, Laguenne et Saint Bonnet Avalouze, puis 90,883 km à partir de Saint Bonnet Avalouze par Lapleau et Neuvic d'Ussel) permettant ainsi de desservir les campagnes et stimuler l'activité forestière et l'élevage dans les communes traversées. Sur cette ligne, il faut franchir les gorges profondes de la rivière, la Luzège, pour relier les deux communes de Lapleau (rive droite) à Soursac (rive gauche). C’est ainsi que la construction du viaduc des Rochers Noirs est lancée. A l'origine, le site du viaduc est dénommé les Rochers Noirs par les habitants de Lapleau, et Roche-Taillade par ceux de Soursac.
A suivre, cordialement,